La loi ne doit pas avoir, en principe, d'effet rétroactif. Elle ne doit pas s'appliquer aux situations juridiques dont les effets ont été consommés sous l'empire d'une loi précédente. La loi ne doit disposer, en principe, que pour l'avenir. Elle ne doit régir que les situations juridiques qui sont nées ultérieurement à sa mise en vigueur. La règle de la non-rétroactivité des lois apparaît comme équitable et rationnelle, du moment qu'elle consacre la sécurité juridique, qui est une condition essentielle au bon fonctionnement et au développement de l'économie d'un pays et au bon fonctionnement des sociétés. La sécurité juridique implique que les contribuables, notamment les opérateurs économiques, puissent, à l'avance, connaître les avantages et les inconvénients de leurs actes, ainsi que leurs droits et obligations. La règle de la non-rétroactivité des lois connaît trois exceptions, et ce, pour les lois de procédure, les lois interprétatives et les lois pénales plus douces. L'application de la norme fiscale dans le temps obéit aux principes ci-dessus indiqués et du moment que la loi fiscale est assimilée à la loi pénale, elle ne peut être d'effet rétroactif que si elle est favorable au contribuable. Les exemples du droit comparé … En conséquence, une loi fiscale ne peut s'appliquer à une imposition dont le fait générateur est antérieur à son entrée en vigueur. Ce principe a reçu valeur constitutionnelle dans certains pays comme c'est le cas de l'article 9 de la constitution espagnole. En Italie, une loi ordinaire interdit l'adoption des lois fiscales rétroactives défavorables au contribuable. Aux Pays-Bas, un accord informel conclu entre le parlement et le gouvernement exclut l'adoption de dispositions fiscales rétroactives défavorables au contribuable. En Allemagne, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe juge anticonstitutionnelle toute disposition fiscale rétroactive défavorable au contribuable. En Belgique, la rétroactivité des lois fiscales a été encadrée par l'article 2 du code civil et la loi du 4 août 1986 portant dispositions fiscales. En France, le tribunal administratif de Paris a jugé, dans une affaire opposant Peugeot à l'administration fiscale, irrégulière une loi d'application rétroactive, défavorable au contribuable, du fait qu'elle vient en contradiction avec la Convention européenne des droits de l'Homme dont l'article 1er du protocole additionnel protège le droit de propriété: «Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens, conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes». Sur cette base, le tribunal administratif de Paris a décidé le 11 décembre 2006 de décharger Peugeot des cotisations afférentes à la taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1996 et 1997, suite à l'adoption d'une loi rétroactive, et a condamné l'Etat à lui payer 1000 euros en application de l'article L. 761.1 du code de la justice administrative ( T.A. Paris, affaire n° 1149 du 11 décembre 2006 ). La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (Cedh) contribue au resserrement des contrôles sur les lois rétroactives. Sur le fondement de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'Homme, qui garantit le droit à un procès équitable, la Cedh a développé une importante jurisprudence dans le domaine du contrôle des lois de validation qui sont, généralement, défavorables au contribuable et d'application rétroactive. La non-rétroactivité des lois fiscales constitue un élément fondamental de la sécurité juridique et fiscale des contribuables. Lorsque le législateur modifie rétroactivement le traitement fiscal de situations passées, ou lorsqu'il limite la portée d'un avantage fiscal, il bouleverse, certainement, les bases des calculs microéconomiques sur lesquelles sont prises les décisions d'investissement. Ainsi, les équilibres financiers, sur lesquels reposent les choix, se trouvent brusquement rompus. L'application rétroactive des textes fiscaux décourage les initiatives des contribuables du fait que l'instabilité de l'environnement juridique rend délicate toute prévision rationnelle. La non-rétroactivité de la règle fiscale, non favorable au contribuable, est une caractéristique essentielle d'un système fiscal moderne capable de développer l'esprit d'entreprise et de renforcer la sécurité juridique et fiscale, ainsi que l'attractivité du territoire de l'investissement étranger.
La rétroactivité de nos textes fiscaux…
Il est plus que légitime qu'un contribuable puisse effectuer ses choix d'investissement en pleine connaissance de la règle fiscale applicable à sa situation, sans être exposé au risque d'un changement rétroactif des règles du jeu. En Tunisie, l'application rétroactive des dispositions de l'article 49 de la loi de finances pour la gestion 2001 qui a modifié, à la hausse, le délai de prescription, a suscité beaucoup de critiques, du fait qu'elle a bouleversé, à tort, des situations juridiques qui sont en principe stables. L'application rétroactive, par l'administration fiscale, de certaines dispositions des lois de finances produit des conséquences analogues à celles qu'engendre l'adoption de normes fiscales rétroactives défavorables au contribuable. A titre d'exemple, l'article 53 de la loi de finances pour la gestion 1996, ayant porté de 11 à 9 chevaux vapeur, la puissance des véhicules de tourisme dont l'amortissement est admis en déduction, a été appliqué d'une manière rétroactive sans même tenir compte des personnes qui ont choisi d'acquérir des véhicules de tourisme dont la puissance dépasse 9 chevaux vapeur, sous l'empire des anciennes dispositions (voir note commune n° 7/1996) !!! Les dispositions de l'article 75 de la loi de finances pour la gestion 2004, relative à la réduction du taux des intérêts admis en déduction de l'assiette soumise à l'impôt sur les sociétés servis au titre des comptes courants associés de 12% à 8%, ont été appliquées d'une manière rétroactive par l'administration fiscale, aux bénéfices de 2003, alors que la loi de finances dispose expressément que lesdites dispositions sont applicables à partir de l'exercice 2004 (voir note commune n° 18/2004). En outre, les dispositions de l'article 43 de la loi de finances pour la gestion 2006, relatives au minimum d'impôt, ont été appliquées, rétroactivement par l'administration fiscale, aux revenus et bénéfices de 2005, alors que la loi de finances dispose expressément que lesdites dispositions sont applicables à partir de l'exercice 2006 (voir note n° 16/2006). L'article 38 de la loi de finances pour la gestion 2011 a modifié vers la hausse le minimum d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés. La note commune n° 2/2011 dispose que cette nouvelle mesure s'applique au revenu relatif à l'exercice 2010. Ainsi, on peut conclure que le contribuable est dans l'impossibilité de connaître, d'avance, la loi fiscale applicable à ses revenus ou bénéfices au titre de l'exercice en cours. Cette pratique, non fondée légalement, qualifiée par certains profanes de «petite rétroactivité», présente l'inconvénient de laisser le contribuable dans l'ignorance du régime fiscal applicable aux opérations qu'il accomplit au cours de l'année. Le manque de visibilité pèse très lourd sur l'esprit d'entreprise et sur l'efficacité des dispositions à vocation incitative. La doctrine assimile la loi fiscale à la loi pénale. Sur cette base, nul ne peut être soumis à l'impôt qu'en vertu d'une loi fiscale antérieure, à l'instar de ce qui a été prévu par l'article 2 du code pénal : «Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une disposition d'une loi antérieure. Si, après le fait, mais avant le jugement définitif, il intervient une loi plus favorable à l'inculpé, cette loi est seule appliquée». Les règles fiscales applicables aux revenus et bénéfices réalisés au cours de l'année ne peuvent être fixées a posteriori ou appliquées de façon rétroactive, que si elles sont favorables au contribuable, et ce, afin de consacrer le principe de la sécurité juridique et fiscale qui doit être, à notre avis, constitutionnalisé dans le cadre de la nouvelle Constitution. Enfin, il est plus que jamais nécessaire de mettre en place un dispositif légal consacrant le principe de la non-rétroactivité des textes fiscaux, non favorables au contribuable.