On croyait que les jeux étaient faits. Détrompons-nous. Certains protagonistes visent les infinis étirements. Auront-ils gain de cause ? Qu'il s'agisse du gouvernement ou de l'Assemblée constituante, c'est le même topo. Malgré les accords clairs et explicites du Dialogue national et les stipulations pertinentes de la Feuille de route, nos élus s'entêtent à faire du surplace. Côté gouvernement, Ennahdha et ses alliés soutiennent mordicus que le chef du gouvernement, Ali Laârayedh, ne démissionnera guère avant d'avoir paraphé la nouvelle Constitution. Ce qui, au demeurant, est loin d'être dans ses prérogatives. Pourtant, la désignation de Mehdi Jomâa en qualité de nouveau chef du gouvernement remonte déjà à plus de deux semaines. Et la nouvelle Constitution devrait voir le jour dans deux semaines. Dans le meilleur des cas. L'on s'étonne par ailleurs que le président de la République, M. Moncef Marzouki, n'ait pas déjà solennellement chargé Mehdi Jomâa de former son gouvernement. Il devrait le faire dans quelques heures. Et M. Jomâa disposera de deux semaines pour former son cabinet d'indépendants et de technocrates. Au préalable, M. Ali Laârayedh devra impérativement présenter, solennellement lui aussi, la démission de son gouvernement. Qui se transformera ipso facto en gouvernement de gestion des affaires courantes. Avec toutes les limites et les servitudes que cela suppose. Mais visiblement, cela semble particulièrement dur pour Laârayedh et consorts. Certains d'entre eux s'accrochent d'une manière pathétique au pouvoir. Ou à ce qu'il en reste au terme de la déroute et du naufrage. L'attrait des dignités a des corollaires tantôt pathologiques tantôt pervers : s'accrocher au pouvoir vaille que vaille. Côté Assemblée constituante, certains semblent logés à la même enseigne tragicomique. On en a eu des avant-goûts amers. La semaine écoulée, des élus de la majorité sont entrés en transes. Les cris, agressions verbales et gestuelles hystériques ont fusé. Et pour cause : Mongi Rahoui, constituant du Bloc démocratique, avait évoqué la disparition imminente de l'Assemblée. Bien pis, certains élus se sont ingéniés à concevoir des dispositions transitoires anachroniques. Elles autorisent l'actuelle Assemblée à perdurer même au lendemain de l'élection d'un nouveau parlement. L'on comprend, dès lors, le véritable sens de la récente déclaration de M. Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha. Il a dit, en substance, nous avons quitté le gouvernement mais nous demeurons au pouvoir. En d'autres termes, on règne mais on ne gouverne pas. Cela ne présage rien de bon. La Feuille de route pour la sortie de crise stipule aussi la révision des nominations partisanes dans l'administration. Celles-ci s'élèveraient à quelque trois mille nominations. Pis, 88 pour cent de ces nominations concernent des personnes affidées à la Troïka gouvernante, dont 93 pour cent sont carrément des partisans d'Ennahdha. L'adage peut être conçu autrement. Qui refuse le plus refuse le moins. Encore une fois, la classe politique tunisienne administre la preuve de sa faiblesse congénitale. Le pouvoir est appréhendé dans une approche segmentaire, fondée sur la trilogie croyance-tribu-butin. Le spectacle est désolant, à quelques encablures de la célébration du troisième anniversaire de la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2014. Les coteries semi-secrètes et les féodalités politiques l'emportent. Avec gourous, séides et réseaux occultes de surcroît. Les tentatives de jouer les navrantes prolongations dans les temps morts en sont témoin. Tant côté gouvernement que du côté de l'Assemblée constituante. Et c'est on ne peut plus affligeant.