En cas de promulgation de la loi obligeant les médecins spécialistes à exercer durant trois ans à l'intérieur du pays, la Tunisie courrait le risque d'être blâmée par l'Organisation internationale du travail «Dégage ! Dégage !», «Ô Makki, ô Makki, l'état des hôpitaux fait pleurer», «Résistants, nous restons, jusqu'à la tombée de la loi»... C'est avec de tels slogans que des dizaines de jeunes médecins internes et résidents se sont exprimés hier devant le siège du ministère de la Santé publique à Bab Saâdoun. C'était à l'occasion d'une marche de protestation qu'ils ont organisée dans la matinée pour exprimer leur refus du projet de loi 91-21. Une loi qui stipule, dans son projet, d'imposer trois ans d'exercice obligatoire dans les régions intérieures du pays avant que les nouveaux médecins spécialistes n'obtiennent l'attestation leur permettant d'exercer dans le secteur privé. Les médecins protestent contre ce projet de loi, depuis quelques semaines, tout en appelant le ministère à engager un dialogue avec eux et avec les structures professionnelles dont les syndicats, le conseil de l'Ordre des médecins, les doyens des facultés concernées et les confrères spécialistes. Et après les grèves, le boycott du choix des stages à deux reprises. Hier les médecins concernés par cette loi ont boycotté pour la troisième fois ce choix de stage, et ce, afin de mettre la pression sur le ministère. Les médecins manifestants ont, également, exprimé leur refus du caractère obligatoire de l'exercice à l'intérieur du pays. «Pour le travail dans les régions intérieures, mais sans obligation», «La santé est en chute, la solution n'est pas l'obligation», pouvait-on lire, entre autres, sur des pancartes brandies par les protestataires venus en tabliers blancs. Refus catégorique «Nous refusons catégoriquement ce projet de loi et sa modification ne changera en rien notre rejet d'introduire la notion d'obligation dans notre travail», a souligné Mohamed Hédi Kammoun, médecin interne. Et d'ajouter : «C'est une loi impartiale et qui va à l'encontre des conventions que la Tunisie avait signées avec l'OIT. C'est l'une des lois qui visent à marginaliser la médecine spécialisée et qui n'est pas la solution à la dégradation de tout le système. Ils auraient dû penser à renforcer la première ligne des médecins généralistes et de famille. De même, il faut remédier au défaut de matériel, d'équipements et de médicaments avant tout». Il a, d'autre part, indiqué que tous les pays qui ont opté pour une telle obligation aux médecins à travailler dans des zones précises ou à titre de service militaire ou autres, ont été tous blâmés ou sanctionnés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l'OIT. Dans cet ordre d'idées, Mohamed Hédi Kammoun est revenu sur une loi adoptée en 2010, obligeant les médecins à effectuer une année de service militaire, qui a été abandonnée par la suie. Absence de moyens Beaucoup de citoyens se sont arrêtés pour assister à la marche. Et alors que certains passants ont sifflé en guise de protestation à ce mouvement des médecins, Fayçal, 40 ans et ingénieur de formation, a soutenu le refus de ces derniers du caractère obligatoire du travail. «C'est inadmissible de faire passer une telle loi ! Que le ministère et l'Etat favorisent les conditions de travail décent aux médecins, fournissent les moyens et équipements adéquats avant tout. Personnellement, je viens de Gafsa pour me soigner, tout comme mon fils. Le faire à côté de chez moi serait mieux. Sauf que dans les régions, les hôpitaux souffrent d'un manque horrible d'équipements. Je ne peux me faire soigner à Gafsa! Je pense que c'est un problème général d'infrastructure» a-t-il ajouté. Selon lui, les médecins spécialistes gagneraient en expérience et auraient plus de chance à réussir une meilleure carrière en exerçant dans les régions intérieures, à condition d'avoir les moyens recquis pour y exercer... Les médecins et syndicalistes protestataires ont brandi, entre autres, des photos illustrant les mauvaises conditions de travail notamment dans les services et salles d'opérations des hôpitaux de la capitale, à l'instar de ceux de la Rabta et de Charles Nicolle. Par ailleurs, l'on croit savoir qu'une réunion aurait été tenue hier après-midi entre le ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, et les syndicats et les structures professionnelles pour négocier une «autre» issue à cette crise.