Par Abdelhamid GMATI Une forte proportion de Tunisiens se déclarent sceptiques en ce qui concerne l'année 2014. C'est ce qui ressort d'un sondage d'opinion effectué par l'Institut Ermhold Consulting qui révèle que 44% des consultés estiment que 2014 sera pire que 2013. Cela se traduit par de nombreuses manifestations et sit-in à travers la République : un grand nombre de médecins se sont rendus mardi devant l'ANC dans une «marche pour la dignité de la médecine» pour dénoncer la loi n°38/2013 relative au travail obligatoire dans les régions des médecins spécialistes. Les magistrats étaient aussi en grève, réclamant l'indépendance de la justice. Les revendications, des uns et des autres, n'ont pas été entendues par les ministres concernés et il est inhabituel et contre- productif que des ministres se retrouvent en conflit ouvert avec des corps de métier dont ils ont la charge. Ce même mardi, la tension est montée dans plusieurs villes du pays, notamment à Kasserine, Thala, Gafsa, Kairouan et Le Kef, à cause des nouvelles taxes imposées dans le secteur de l'agriculture. Les nombreux manifestants qui ont coupé plusieurs routes refusent les nouvelles taxes sur les véhicules stipulées dans la loi de finances 2014 et ne veulent pas payer des taxes pour alimenter le Fonds d'indemnisation EL Karama. A Thala, des affrontements ont opposé les forces de l'ordre à des manifestants qui effectuaient une marche en hommage aux martyrs de la Révolution tombés à l'aube de la contestation populaire en 2011. On déplore deux blessés. Dans certaines régions, des citoyens en colère ont scandé des slogans hostiles au gouvernement et au mouvement Ennahdha et appelant au retour de Ben Ali. Ce qui est un comble. Dans certaines villes comme à Kasserine et à Menzel Bouziane (Sidi Bouzid,) on a appelé à la grève générale. Mais la déception est aussi partagée par des hommes politiques au vu de ce qui se passe à l'ANC. Le professeur Yadh Ben Achour, membre du Comité des droits de l'Homme des Nations unies et spécialiste du droit public, a déclaré sur un plateau télé et sur les ondes radio : «J'étais optimiste ces derniers jours, mais plus maintenant». Et il a estimé que la journée de mardi est «une journée noire dans l'histoire de la politique tunisienne». Sa déception vient en référence à l'article 38 de la Constitution fraîchement adopté à l'ANC. Un article qui stipule que «l'Etat garantit le droit à un enseignement public et gratuit dans tous ses cycles et veille à fournir les moyens nécessaires pour réaliser la qualité de l'enseignement, de l'éducation et de la formation ; agit pour l'enracinement de son identité arabo-musulmane ainsi que l'ancrage et le soutien de la langue arabe et la généralisation de son utilisation». Pour le professeur, l'article «traduit une véritable volonté de refuser le progrès et la modernité ainsi que de s'ouvrir sur le monde ; un danger pour l'éducation, la culture et la scolarité pour les générations futures... un principe omnidirectionnel qui bafoue des principes comme le modernisme». Et il précise que le texte est «obscurantiste et conservateur et ne fait aucun rapport avec la technologie, la science, les langues étrangères... et adopte des principes acquis pour tout Tunisien et qui repousse toute ouverture sur autrui et sur le monde». De son côté, le député Fadhel Moussa déplore que l'amendement 5 du préambule qui mentionnait l'appartenance méditerranéenne de la Tunisie n'ait pas été adopté. De la même manière, certains émettent des réserves sur le libellé de l'article 20 qui établit l'égalité entre «citoyens et citoyennes ». On aurait dû mentionner « entre les hommes et les femmes», ce qui aurait éliminé toute discrimination envers les étrangers. Les organisations Human Rights Watch et Amnesty ont jugé la formule sur les citoyens trop réductrice. «La Constitution devrait préciser que les hommes et les femmes sont égaux et ont droit à la pleine égalité en droit et en fait». Et on aurait dû aussi mentionner la race, la couleur, la langue, la religion, ou l'opinion politique de manière à bannir tout risque de ségrégation. D'autres mettent en garde contre l'article 127 qui sera discuté. Il y est mentionné un amendement portant sur la création d'une Instance constitutionnelle intitulée: Conseil islamique supérieur. Cela voudrait dire que cette instance statuera sur la conformité des lois à l'Islam. La chariaâ deviendrait donc la référence et cela menacerait l'essence même de l'Etat civil. Tout cela ne prête pas à l'optimisme et la déception est grande. Alors ? Comment ne pas être déçus ? Peut-être, en commençant par ne pas adopter un optimisme béat et s'attendre au pire.