Ce soir à 19h00, à la salle le Mondial, la comédienne Nejma Zeghidi présentera sa première œuvre, « Feu » : un court métrage d'une vingtaine de minutes écrit dans la détresse, tourné dans l'économie et sorti avec beaucoup d'apaisement. Psychologue de formation et de métier, actrice par vocation, dans quel contexte vous est venu le désir ou l'urgence de vous mettre derrière la caméra ? En vérité, c'est un cheminement auquel moi-même je ne m'attendais pas. Quand j'ai commencé à faire du théâtre, ce qui m'intéressait, outre le plaisir de la scène, c'était les outils et les signes qu'on déployait pour raconter une histoire, un personnage ou une situation. J'ai fait, en un deuxième temps, des rencontres qui m'ont mise en confiance et qui m'ont permis de prendre le risque de raconter de petites histoires ou de participer à des projets de dramaturgie. Mon intérêt pour la construction dramaturgique au cinéma a débuté par un travail comme scripte sur le film Thalethun, de Fadhel Jaziri, et par une participation à un travail ultérieur sur le scénario d'un long métrage, qui est actuellement en préparation du même réalisateur. Le déclic du passage derrière la caméra a eu lieu après les événements du Bardo de l'été 2013 et des deux assassinats politiques qui ont ensanglanté notre pays. Il ne s'agissait plus d'attendre. C'était maintenant ou jamais. Vous parlez, dans ce premier court métrage, d'un drame d'une famille ordinaire, mais vous optez pour une mise en image assez extravagante... Pourquoi ce choix esthétique très particulier ? Je suis une passionnée de «l'ordinaire» : quand je vois des gens passer dans la rue, je commence à fantasmer leur vie. Je m'imagine toujours des histoires rocambolesques quand je vois une femme de 49 ans attendre le bus de 6h07 du matin. Il y a un hiatus entre ce que les gens montrent et ce qu'ils sont dans nos sociétés. La pratique de la psychologie ne cesse de me le rappeler. Quant au choix esthétique, je pense qu'il est dans les cordes des gens qui prétendent poser un regard sur la société, de faire partager leurs fantasmes, de faire rêver autrement... L'art présente probablement un « autre » de la réalité. Cet « autre », sur le plan formel, ouvre les portes de l'imagination et de la créativité... On s'y laisse glisser agréablement. En quelques mots, comment présenter « Feu » ? Les événements se déroulent après que le pays a été ravagé par la guerre. Il se passe au moment où on commence à panser ses blessures et où on croit que l'oubli est possible. Comment peut-on continuer à vivre quand l'irréparable a été commis ? Comment une jeunesse parvient-elle encore à chanter, bien que revenue du désastre? Le désir de survie des uns se mêle à la hantise morbide des autres. Rien n'y échappe. Ni les liens du sang n'épargnent les personnages ni les créatures mystérieuses qui les accompagnent dans leur quête ou leur fuite ne parviennent à imposer longtemps la suspension des hostilités. Etant vous-même comédienne, comment avez-vous abordé cette atmosphère très féminine et quelle était votre approche pour la direction de vos actrices ? Les atmosphères féminines ne me sont pas étrangères, mais nous avons aussi, dans ce film, un personnage masculin très important, incarné par Brahim Zarrouk. Le travail avec les acteurs, en général, a commencé à se construire sur un vrai rapport de confiance et de complicité. Une chance inouïe que des comédiennes comme Sabeh Bouzouita, Lobna Mlika, Dejla Douissi ou Besma Euchi aient accepté de jouer dans ce film. Sans ces comédiens, le film n'aurait pas été ce qu'il est aujourd'hui. Ils y ont cru et cela se voit sur l'écran. Votre film se prête à plusieurs niveaux de lecture. Outre le drame social, on y décèle d'autres propos politiques, entre autres... Les intentions du film sont multiples, mais il est important qu'elles ne soient pas déclamées. J'ai une répulsion franche du discours direct. Celui-ci peut être percutant dans des contextes tels que la privation de la liberté d'expression. Mais, aujourd'hui, si nous considérons que celle-ci a été arrachée, la question est : comment allons-nous nous saisir de l'expression ? Quelles sortes de libertés nous prête-t-elle sur le plan du contenu et de la forme ? Comment éviter la langue de bois et les sentiers battus ? Bien entendu, le film porte un regard sur les dérives de la violence, sur la responsabilité collective, sur l'institution de la famille. Comment exprimer cela ? Telle demeure la question.