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Une étrange dialectique
Opinions - Terrorisme et médias
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 02 - 2014


Par Amin BEN KHALED
Le début du XXIe siècle a vu d'innombrables tentatives pour définir le terrorisme, cependant force est de constater qu'aucune d'elles n'a pu faire l'unanimité. En réalité on peut classer ces définitions en deux catégories : il y a celles qui cherchent à définir le terme «terrorisme» et celles qui tentent de définir le phénomène terroriste. A voir de près, ce manichéisme n'est pas dû uniquement à l'inflation sémantique du mot « terrorisme » qui ne cesse de s'hypertrophier depuis deux siècles, mais il traduit surtout une dichotomie originelle inhérente à la manière même avec laquelle s'effectue toute définition; dichotomie mise en évidence par la Scolastique — largement influencée par les seconds analytiques d'Aristote — qui a opéré la distinction entre des définitions quid nominis et des définitions quid rei, c'est-à-dire entre les définitions nominales qui concernent le mot et les définitions réelles qui concernent les choses.
Ce fiasco linguistique frappant toute entreprise visant à définir le terrorisme — en tant que mot et/ou en tant que chose — est donc double. D'une part, nous avons un terme qui remonte à la période de la Terreur révolutionnaire, celle des années 1793-1794, et dont l'étymon «Terror» qui existait déjà au XIIIe siècle signifiait une peur paralysante. D'autre part, nous sommes en présence d'un phénomène réel, sanglant, injustifiable, voire inexplicable, que la vue même entrave toute opération intellectuelle visant à le cerner avec le flegme de l'objectivité. Le terrorisme terrorise tellement qu'il ne nous permet pas de prendre le recul nécessaire pour une approche cognitive. Il est là, il tue, il blesse et il provoque le désordre, la peur et la désolation, à quoi sert donc une définition superfétatoire d'un «terme et/ou phénomène» fini, accompli, rodé et qui cause, pratiquement tous les jours, la mort et le désespoir ? Aussi il est devenu aujourd'hui pratiquement indécent d'essayer de définir le terrorisme, et cela, aussi indécent que d'essayer, avec verve et pédantisme, de définir ce qu'est la mort à une personne endeuillée, au lieu de la consoler simplement avec les mots de circonstance comme il est d'usage.
Le présent article, comme son titre l'indique, vise à montrer en dernière analyse comment le terrorisme du XXIe siècle ne peut exister sans sa propre médiatisation transfrontalière. Il s'agira donc d'inverser la perspective et voir dans l'acte terroriste, un acte empirique parce qu'il est médiatique. A cette fin nous devrions faire sortir la notion de terrorisme de la perspective qui l'emprisonnait dans un va-et-vient perpétuel et stérile entre le concept et sa phénoménologie, pour l'observer au travers d'une certaine esthétique qui tient compte du phénomène comme étant un message médiatique «imagé».
Il peut paraître choquant, ou du moins déplacé, d'employer le terme «esthétique» dans un article qui parle de terrorisme. Cependant, il ne s'agira pas d'employer l'esthétique au sens classique du terme — à savoir la science du beau — mais plutôt dans le sens transcendantal kantien, c'est-à-dire cette manière qui se rapporte à l'étude des formes aprioriques de sensibilité, en un mot tout ce qui permet d'étudier un fait empirique d'une manière pure, objective et sans a priori. Car ici il s'agira d'essayer d'approcher le terrorisme avec un intellect détaché de toute considération subjective qui pourrait fausser l'observation : le terrorisme comme étant un fait empirique qui tire son empirisme de sa propre médiatisation, attendu que ce fléau cherche à se médiatiser.
L'acte terroriste : du message médiatique à l'image immédiatisée
Lorsqu'on se propose d'observer le terrorisme, cela veut dire qu'on le considère comme quelque chose d'observable. Et s'il est observable, c'est parce qu'il est médiatisé. Ce sont les médias qui médiatisent ce qui se passe dans le monde réel, ici et là, en transformant cette réalité locale en images qui défilent pour le reste du monde. Initialement, pour l'observateur lointain, l'acte terroriste prend naissance objective et concrète dans les médias. L'existence empirique de cet acte, se trouve ainsi dans un espace-temps donné. Cet espace-temps ce n'est pas le réel dans lequel l'attentat a été perpétré (telle date, tel lieu), mais l'espace-temps médiatique dans lequel l'observateur reçoit l'information. Ainsi, par exemple, il y a eu quelques témoins oculaires qui ont vu sous leur nez l'impact du premier avion sur la tour nord du World Trade Center le matin du 11 septembre 2001, cependant cela ne change rien au fait que dans le reste du monde, de San Francisco à Karachi et d'Oslo à Johannesburg, et grâce aux médias quelques minutes plus tard, l'humanité a été aussi un témoin oculaire de ce premier impact. Ainsi, il est difficile, voire impossible d'imaginer un acte terroriste qui ne soit pas médiatisé ici ou là, que ce soit dans les médias les plus influents au monde ou dans les médias périphériques, d'où le constat suivant qui semble de prime abord paradoxal : sans médias l'acte terroriste n'est pas vraiment terroriste. Autrement dit lorsqu'un acte terroriste, ou qui se veut comme tel, ne se trouve pas médiatisé, il sera inconnu du grand public, donc il est inobservable et par conséquent empiriquement inexistant : les médias immédiatisent l'acte terroriste.
Ainsi étant médiatisé, l'acte terroriste constitue non seulement un message, mais une image immédiate. Tout d'abord il ne faut pas prendre la notion d'image au sens basique du terme, mais plutôt au sens le plus général, à savoir dans notre cas une représentation figurative d'une scène quel que soit le support médiatique (un texte, une photo, un enregistrement sonore, ou une vidéo). Ensuite, ce qui est intéressant et nouveau avec les médias, c'est que l'image n'est plus perçue comme une apparence médiatisant un réel quelconque (qu'il soit effectif ou fictif comme dans un tableau de Vélasquez, ou dans une photo de Jerry Uelsmann), mais l'image médiatique se présente plutôt comme un réel immédiat, dont l'immédiateté — pour employer un terme hégélien — se présente à l'observateur comme étant le réel en soi. Ainsi, quand je lis la Une d'un journal, par exemple ou quand je visionne la télé et que je vois les images insoutenables d'un attentat sanglant, je vais considérer ces images comme étant un réel immédiat et non pas comme des scènes reflétant l'apparence approximative ou suggestive d'un réel passé, possible, ou fantasmagorique.
L'acte terroriste : un message erga omnes
Cependant cette image «im-médiatiquement» observable suppose l'existence d'un destinataire. Aussi l'image de destruction, la vue du sang, de morts, ou même d'une simple fumée, voire d'un attentat déjoué, ne peuvent que provoquer une forme de paralysie de l'observateur devant l'image observée. Dans ce cadre, l'image médiatisée de cet acte remplit à maints égards le sens étymologique du terme terrorisme, à savoir le fait de paralyser de peur, l'autre ou les autres. Cependant la paralysie ne touche pas seulement ceux que l'acte veut frapper directement, mais toute personne observant l'acte via les médias. C'est la raison pour laquelle l'une des particularités de l'acte terroriste, en tant qu'image médiatique, réside dans sa capacité de paralyser erga mones. A l'égard de tous. Que l'attentat soit perpétré à Londres, à Bagdad ou à Manille, il touche le destinataire universel. D'où un second constat paradoxal : le terrorisme est un phénomène planétaire parce qu'il est une image médiatique universalisable, chacun de nous se trouvant, malgré lui, concerné parce que nous sommes les destinataires universels de cette image reproduite par les médias jusqu'à l'infini comme dans un jeu de miroirs.
L'existence de destinataire universel occulte cependant l'existence des destinataires particuliers, c'est-à-dire ceux pour qui le message est destiné. Car l'acte terroriste, au sens classique, demeure en principe un acte qui vise un but précis, à savoir celui de terroriser une société donnée pour pouvoir peser sur les décisions politiques de ses dirigeants. C'est ce qu'a fait par exemple le mouvement anarchiste durant le XIXe siècle en Europe, le groupe Baader-Meinhof durant les « Années de plomb » en Allemagne fédérale, ou encore la Mafia sicilienne à Palerme durant les années 80 et le début des années 90. L'acte terroriste procédait ainsi selon une logique — évidemment barbare et horrible — une sorte d'intelligence du mal, qui avait pour finalité d'influencer sur l'échiquier politique. Mais attendu que l'acte terroriste se retrouve aujourd'hui — via les médias — propulsé comme un message destiné à un destinataire universel, il apparaît encore comme un acte de folie démoniaque incompréhensible et sans mobile, un acte frappant l'inconscient social et dont la finalité n'est autre que la destruction de l'humanité entière. Etant donné que l'image ne touche pas médiatiquement seulement les destinataires particuliers, elle demeure en somme un message indécodable visant à terroriser l'Homme comme tel. Car en effet, comment peut-on expliquer un acte terroriste qui se dit vouloir atteindre des fins politiques dans une société donnée alors même qu'il menace, par sa médiatisation, la planète tout entière ?
De l'identification du coupable à l'identification coupable
Etant une image ayant un destinataire universel, l'acte terroriste émane d'un émetteur. Dans ce cadre, il ne faut pas confondre auteur et l'émetteur. L'auteur ou les auteurs, d'un acte terroriste est celui ou ceux qui procèdent à l'exécution matérielle de l'acte. En général ils sont anonymes et parfois ils ne survivent pas à leurs actes, surtout lorsqu'il s'agit d'un attentat-suicide. Quant à l'émetteur de l'acte terroriste il s'agit de la personne ou plus souvent d'une organisation qui revendique, via les médias, l'acte en question. Aussi, il ne faut pas confondre entre l'émetteur et le canal. Ce dernier étant le support médiatique sur lequel se matérialise la revendication de l'acte terroriste, il peut s'agir d'un simple pamphlet écrit, ou comme souvent est le cas, d'un enregistrement sonore ou vidéo. Un fait est certain, une fois l'acte revendiqué, le coupable est identifié par le destinataire universel.
Cependant cette identification est tout de même paradoxale. En effet, l'observateur — étant un destinataire universel faisant partie prenante du « schéma de communication terroriste » et non plus une tierce personne étrangère au message — n'identifie pas le coupable, en disant que cette personne ou cette organisation sont responsables d'un tel acte haineux, mais il l'identifiera en fonction des images médiatisées. En effet, personne n'a rencontré physiquement Ben Laden ou Al-Zawahiri, mais tout le monde les identifient en tant que musulmans prêchant un extrémisme religieux se fondant sur une certaine lecture du Coran et du Hadith. Ainsi, et paradoxalement, la médiatisation de l'acte terroriste ne permet pas de confondre ceux qui le revendiquent, mais elle contribue à créer — de toute pièce chez le destinataire — un modèle de coupables virtuels qui corresponde aux aspirations culturelles et esthétiques de l'énonciateur de l'acte terroriste. Résultat : l'identification du coupable se transforme en identification coupable.
Finalement, la médiatisation de la revendication occulte paradoxalement les vrais terroristes : désormais est terroriste toute personne qui se présente esthétiquement comme l'énonciateur. Est terroriste toute personne dont l'apparence, ou le discours s'identifient à celui qui revendique, parce que le terroriste, dans un schéma de communication médiatique, demeure avant tout une image qui sera convertie chez le destinataire — pour parler comme Levinas — en un visage à la fois abstrait et partout présent. On n'identifie plus le coupable, désormais, on identifie et on culpabilise au fond de nous des millions de visages comme étant des terroristes en puissance.


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