Par Hamma Hanachi Une fête, un symbole, une occasion pour exprimer des sentiments ? La Saint Valentin, on y croit ou non : il y a ceux qui sont pour, il y a ceux qui sont contre, et une majorité hors chapitre, qui passe son chemin, méprisant cette nouvelle tradition et ses conséquences. De toute façon, il y a toujours les commerçants, les publicitaires et les médias pour vous rappeler qu'il n'y a pas d'amour sans cadeau ou, pour reprendre la phrase de Jean Cocteau : «Il n'y a pas d'amour sans preuves». Cette année, la fête a pris un aspect marqué, du moins sur le champ de bataille des achats, puisqu'elle coïncidait avec la période des soldes. Ajoutons que le climat politique (c'était avant l'abject assassinat de Jendouba) prêtait à l'optimisme nourri par l'adoption de la Constitution et l'installation d'un nouveau gouvernement. En ce vendredi des amoureux, des citoyennes soutenues par l'Organisation des Jeunes Leaders de Tunisie ont saisi cette occasion pour organiser une campagne intitulée Un milliard debout : le monde se soulève contre les violences faites aux femmes. L'intention n'est pas tant de gâcher la fête aux tourtereaux que de défier la communauté et de dévoiler un sujet tabou. L'amour ne faisant pas bon ménage avec la violence, ces rebelles, ces filles insoumises, appuyées par leurs amis et alliés militants contestataires, ont décidé de célébrer la vie autrement, à leur manière, pour attirer une fois de plus l'attention de la société tunisienne et du monde sur l'état des femmes victimes de violences et sur la nécessité de mettre fin à l'impunité. Un phénomène ou un épiphénomène, voilà en tout cas du nouveau, de la matière pour faire bouillir les consciences sous le ciel tunisien, preuve s'il en est que toutes les expressions qui dormaient, aussi marginales soient-elles, ont droit de cité dans les périodes de liberté. Une fête, même si elle symbolise la tendresse, ne devrait pas cacher l'envers de l'amour. Le soir de cette journée mondialement « magnifiée », les manifestants ont occupé une partie du terre-plein de l'avenue Habib Bourguiba. Au programme de cette Journée : un podium, de la danse, du théâtre de rue, des animations, des discours, des chants, des défilés de costumes folkloriques. Et des messages bien sûr. Une cause juste, une journée symbolique, un lieu adéquat, tout est réuni pour qu'elles sortent de l'ombre et témoignent en pleine lumière. Occupons la rue, tel semble être leur mot d'ordre. Un mot d'ordre qui fait écho et s'ajoute à d'autres rébellions. Parmi celles-ci, le sit-in du Bardo, les marches du Théâtre municipal de Tunis, la Fac de la Manouba et, à l'étranger, Gezi, le parc d' Istanbul, Madrid, Athènes et, actuellement, la Mairie et la place Maidan à Kiev (Ukraine) : des batailles gagnées, d'autres étouffées, des causes défendues, la lutte continue. Sur le sujet, une image nous revient, forte, qui illustre l'intérêt de l'occupation de l'espace et des endroits évocateurs. 25 mars 2012, temps clair et ciel dégagé, l'Association Tunisienne du Théâtre, les étudiants de l'Institut de l'art dramatique et des amateurs du 4ème art devaient célébrer, en avant-première, la Journée mondiale du Théâtre (27 mars) : scène aménagée devant le théâtre, préparation, costumes, décor, jeunes femmes et hommes réunis et joie dans l'air. Il faut signaler que la place est emblématique, des actrices et des acteurs y ont été malmenés par les policiers de l'ancien régime pendant les premières contestations du 12 et 13 janvier 2011. Or, ce même dimanche ensoleillé, des salafistes, des militants de Hizb Ettahrir qui avaient reçu une autorisation de manifester devant l'horloge, ont décidé de partir en guerre contre les artistes et leurs amis. Bâtons, jets de pierres, affrontements : la scène aménagée a été cassée et les étudiants se sont réfugiés dans le théâtre. La représentation n'a pas eu lieu. Hauts parleurs, cris de victoire, takbir et slogans antisémites s'ensuivirent. «Pas de démocratie, uniquement la chariâa». Les manifestants ont ensuite fait la prière sur l'avenue, hommes d'un côté, femmes de l'autre. Une dizaine de jeunes salafistes, bandeau au front, sont montés au sommet de l'horloge pour brandir plusieurs drapeaux noirs, sous les cris de «Allahou akbar», puis ils ont planté le drapeau de «hizb Ettahrir». Depuis peu de temps, la place du théâtre est revenue aux artistes, chanteurs, danseurs ou acteurs. Les salafistes ont trouvé d'autres vocations, le sport au mont Chaâmbi ou l'installation de faux barrages. Leurs trophées : des soldats et des civils.