«Puisque la violence réapparaît à chaque époque sous de nouvelles formes, il faut en permanence reprendre la lutte contre elle» (Stefan Zweig) Le harcèlement moral est un concept que pas mal de gens ignorent. En France, c'est vers la fin des années 90 qu'on lui a donné du sens et qu'il est enfin devenu une préoccupation sociale très forte. Grâce aux travaux de Marie France Hirigoyen, docteur en médecine, psychanalyste, psychothérapeute familiale et auteur du livre Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, on a pu définir ce concept pour éviter les amalgames et créer les moyens de prévention contre ce fléau. Car, c'en est un. Le harcèlement moral exprime un malaise plus général au sein des entreprises. Dans son livre, sous-titré Démêler le vrai du faux, Marie France Hirigoyen replace cette problématique au sein des autres formes de souffrance au travail, et, en particulier, des atteintes à la dignité des travailleurs. Bien plus dangereux que le harcèlement sexuel, ce type de violence a fait plusieurs victimes, chez nous aussi, en Tunisie. A une certaine époque, pas très lointaine, un nombre impressionnant d'employés, surtout dans les services publics, ont pris des congés de longue durée pour fuir le malaise au travail. N'ayant aucune conscience de la nature de leur mal, plusieurs d'entre eux ont choisi l'évitement plutôt que la thérapie, sombrant ainsi, sans même le savoir, dans une profonde déprime. Ceci dit, nous doutons fort de l'existence de spécialistes en matière de harcèlement moral. La plupart des patients carburent aux antidépresseurs, ce qui complique davantage le problème. L'origine des procédés de harcèlement Mais qu'est-ce que le harcèlement moral et comment en arrive-t-on à harceler quelqu'un ? Selon le dictionnaire, harceler, c'est «soumettre sans répit à des petites attaques répétées». C'est très clairement un acte qui prend son sens dans la durée. Le harcèlement moral commence souvent par le refus d'une différence. Cela se manifeste par un comportement à la limite de la discrimination. Citons à titre d'exemple des propos sexistes pour décourager une femme dans un service d'hommes, ou des plaisanteries grossières à l'égard d'un homosexuel... Sans doute, explique l'auteur, est-on passé de la discrimination au harcèlement moral, plus subtil et moins repérable, afin de ne pas risquer d'être sanctionné. «Lorsque ce refus vient d'un groupe, c'est qu'il lui est difficile d'accepter quelqu'un qui pense ou agit différemment, ou qui a l'esprit critique». A l'origine des procédés du harcèlement, on ne trouve pas de faits explicatifs, mais plutôt un ensemble de sentiments inavouables. A part le refus de l'altérité, il y a aussi l'envie, la jalousie et la rivalité. La spécialiste explique que l'envie est un sentiment naturel qui surgit inévitablement dès que deux personnes sont susceptibles de se comparer l'une à l'autre ou d'être en position de rivalité. Elle peut faire des ravages considérables en rendant les individus destructeurs. Mais, ajoute-t-elle, c'est un sentiment qu'on n'avoue pas facilement. Comment dire aux autres, et comment se dire à soi-même : «Je ne le supporte pas parce qu'il est plus intelligent, plus beau, plus riche, ou qu'il paraît plus aimé que moi !» ? La peur est aussi un moteur essentiel du harcèlement moral car, de manière générale, c'est par peur que l'on devient violent : on attaque avant d'être attaqué. On agresse l'autre pour se protéger d'un danger. «Avec la crainte du chômage qui persiste, la peur est tapie au fond de nombreux salariés, même s'ils n'osent pas en parler». Actuellement, la peur est beaucoup plus indirecte que par le passé. On voit de moins en moins de patrons exiger ouvertement la soumission de leurs collaborateurs, mais en prônant l'autonomie et l'esprit d'initiative, on essaie plutôt de les culpabiliser. L'inavouable Un différend professionnel qui pourrait être nommé est rarement à l'origine du harcèlement moral, mais beaucoup plus souvent cela relève de l'inavouable. Il faut toujours chercher une raison au conflit. Marie France Hirigoyen considère que, dans toute entreprise, à côté des règles explicites, il existe des règles implicites propres à l'organisation. Bafouer ces règles, c'est se mettre en marge du groupe. Une équipe peut cacher, en toute bonne foi, un dysfonctionnement ou un laxisme qui consiste à tolérer, par peur du conflit, les petites négligences de chacun. Tant que ce n'est pas dit, cela n'existe pas. Celui qui osera dire ce qui ne va pas, ou simplement ouvrira les yeux, sera mis au ban du groupe. Bref, après avoir expliqué les procédés, défini les différents types de harcèlement (car il y en a plusieurs), son danger sur la santé psychique et physique de l'individu, la façon de la traiter, et insisté sur la nécessité de créer une loi contre cette violence, l'auteur conclut que l'accent doit être mis sur la prévention. Pour faire cesser le harcèlement moral, il faut une vraie volonté de changement de la part des entreprises, mais aussi de chacun des salariés. Il faut surtout une vraie prise en compte du problème par les instances gouvernementales, afin de dépasser l'approche individuelle médicale, voire psychiatrisée, inévitable lorsqu'on laisse le harcèlement moral s'installer, et de mettre en place des solutions collectives de prévention.