Les rapports d'audit restent malheureusement rangés sans suite dans les tiroirs des décideurs Bien qu'elle ait mené tranquillement sa transition, sans être inaperçue au lendemain de la révolution, l'administration tunisienne semble, toutefois, succomber sous le coup de la corruption. Ce phénomène endémique récurrent n'a cessé de paralyser les équilibres du système de gestion et envenimer les relations professionnelles dans les rouages du secteur public. A défaut d'une bonne gouvernance jusque-là en panne de stratégies, les prestations administratives que l'on doit quotidiennement fournir aux citoyens laissent encore à désirer. Qu'en est-il des responsables et des coupables ? Cette administration qualifiée de « boîte noire » de l'Etat et ses institutions depuis belle lurette serait-elle en mesure de redorer son image de plus en plus détériorée et pouvoir reconquérir, de la sorte, la confiance de ses usagers ? Engagée dans cette optique, l'Association tunisienne des contrôleurs publics (Atcp) pousse la réflexion plus loin pour se pencher sur les garde-fous et les mécanismes opérationnels d'un contre-pouvoir administratif. Ce front de lutte a pour nom la reddition des comptes sous toutes ses formes. Dans une conférence tenue, hier matin, à l'initiative de l'Atcp sur « la redevabilité dans le secteur public : expériences internationales et pistes de réforme pour la Tunisie », la responsabilisation de l'administration a résonné comme une épée de Damoclès. L'arme tranchante qui aura à changer les mentalités et ancrer la culture de la transparence et l'impartialité. En fait, la redevabilité, comme l'a définie l'association, est un principe démocratique selon lequel les élus et les personnes occupant des postes dans la fonction publique doivent rendre compte de leurs actions. Ils en sont redevables auprès des populations qu'ils servent. Ce principe s'applique dans les domaines à caractère financier, administratif, politique et social. Mme Anissa Ben Hassine, enseignant-chercheur à l'Essec de Tunis, a tenu à expliquer le comment et le pourquoi de devoir honorer ses engagements. L'objectif consiste essentiellement dans la lutte contre la corruption, la traçabilité des dépenses publiques et le partage des responsabilités administratives. Autant de mots clés dont le vrai sens puise dans sa logique analytique du concept et son lien avec la performance dans le secteur public. Comment ? L'oratrice a focalisé son intervention sur la rationalité managériale en tant que pilier de la bonne gouvernance, avec pour objectif ultime l'efficacité et l'amélioration continue des compétences. Or, cela demande un changement de comportement vis-à-vis de l'administration et du citoyen. Le tout suivant une approche citoyenne de démocratisation et de décentralisation, dans l'autonomie et la transparence requises. Voilà les astuces d'une gestion administrative rationnelle et responsable. Et Mme Ben Hassine de relever qu'il y a aujourd'hui, dans ce nouveau contexte politique, des prémices de contrôle et de veille. Elle a évoqué une autre forme de redevabilité plus moderne et à distance, citant à titre d'exemple la Haica, la Cour des comptes, et les autres agences de notation internationales. D'autant plus que l'accès à l'information est perçu comme préalable à la redevabilité de l'administration publique. M. Gerrard Tracey, du Royaume-Uni, l'a bien expliqué dans son exposé sur l'importance de la transparence des données mises à la disposition des usagers. Rapports d'étude à l'appui datant de 2009 et 2012, le conférencier a mis en exergue le capital-confiance et l'impact de la liberté d'accès aux documents administratifs. Deux atouts sont censés améliorer la redevabilité. Par ailleurs, les médias et la société civile peuvent être aussi des garants de la redevabilité. Sur cette lancée, le président de l'Atcp, M. Charfeddine Yacoubi, a évoqué plusieurs autres mécanismes susceptibles d'assurer la reddition des comptes. Cela peut se faire à travers les élections, notamment sur le plan local (municipalités) et la déclaration sur les biens acquis des politiques. Et de reconnaître que le contrôle public reste le parent pauvre, encore sous la coupe du pouvoir exécutif, à savoir la présidence du gouvernement, le ministère des Finances et celui des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières. « De cette dépendance autoritaire jaillissent toutes nos difficultés professionnelles...», a-t-il déploré, révélant que les rapports d'audit qu'ils réalisent suite à leurs activités de contrôle administratif restent confinés dans les tiroirs du pouvoir exécutif. Ils n'ont même pas l'aval d'être communiqués auprès du large public. Il en résulte, alors, que la redevabilité de l'administration n'est, en fait, qu'un slogan creux, a-t-il conclu.