La Tunisie a promulgué, le 7 février, la nouvelle Constitution post-révolution. Deux années et demie après les premières élections, le prochain défi qui attend le pays reste l'organisation des élections législatives et présidentielle. Des élections qui dépendent pour beaucoup de l'efficacité de l'instance chargée de les organiser «J'irai voter lors du prochain scrutin, car c'est mon droit ! ». Plus de deux ans après les premières élections qualifiées de libres et indépendantes dans l'histoire de la Tunisie, la jeune Zouhour, 25 ans, garde la détermination d'une manifestante du 14 janvier 2011. «Ça ressemblait à une fête de mariage, j'ai ressenti une grande joie. D'ailleurs on est allé aux urnes en famille, dès 7 heures du matin. Nous étions remplis d'optimisme, nous étions convaincus que ces élections allaient mener vers un monde meilleur », se souvient Zouhour non sans un brin d'émotion. «Ce jour-là, cela m'importait peu de savoir qui allait remporter les élections, ce qui me paraissait important, c'est le fait de pouvoir y participer, librement. Deux ans après, j'éprouve un sentiment de frustration, je n'ai plus confiance en aucun parti », poursuit-elle. Le compte n'y est pas ! Saluées par plusieurs observateurs nationaux et internationaux, les élections du 23 octobre 2011 ayant porté 216 constituants au Palais du Bardo n'ont pourtant pas été exemptes de toute critique, comme en témoigne Wassim, responsable du comptage des voix dans une des Irie (Instance régionale, relevant de l'Instance supérieure indépendante pour les élections). « Dans la circonscription électorale placée sous ma responsabilité, j'ai eu l'occasion de noter plusieurs erreurs et parfois même des aberrations au niveau des totaux. Dans certains bureaux, on se retrouvait avec un nombre de bulletins de vote inférieur au nombre des votants sur les papiers. Faute de procédures et avec des outils informatiques pas du tout adaptés, nous étions obligés de reporter la différence de voix sur les bulletins nuls », explique-t-il en mettant l'accent sur l'impuissance des jeunes recrues à faire face à ce genre de situation. D'ailleurs, le rapport de la Cour des comptes sur l'Isie (présidée par Kamel Jendoubi) n'a pas été tendre. Il note «des infractions se rapportant à la mauvaise gestion des ressources humaines, des emplois fictifs, primes servies indûment, accumulation de salaires et de tâches, des heures supplémentaires payées et plusieurs autres dépassements qui ne manquent pas d'importance». Moez Bouraoui est encore plus dure. Le président de l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (Atide) fustige des dépassements « sur tous les plans». «Il y a eu une défaillance totale au niveau du cadre administratif de l'Isie : une infiltration massive par les partis dans le personnel chargé de la protection des urnes, la formation des agents chargés de cette tâche était loin du minimum requis. Sans compter la maigreur des textes réglementaires, qui ont engendré une difficulté à appliquer des sanctions », affirme Moez Bouraoui, qui n'est pas convaincu que le nouvelle Isie pourra faire mieux que la précédente. « Si j'avais à décrire les élections du 23 octobre 2013 en une phrase, je dirais qu'elles étaient libres, semi-indépendantes, mais pas du tout intègres», résume-t-il. Avant fin 2014...Inch Allah Le nouvel enjeu est de taille pour l'Isie de Chafik Sarsar. Le très long article 148 de la Constitution nouvellement promulguée dispose que «les élections présidentielle et législatives sont tenues dans une période commençant 4 mois après la mise en place de l'Isie, sans que cela ne dépasse dans tous les cas la fin de l'année 2014». Un défi qui alimente le scepticisme de certains qui considèrent que le délai est trop court. « Les prérogatives attribuées au président de l'Isie, Chafik Sarsar, sont très restreintes comparées à celles attribuées, en 2011, à Kamel Jendoubi. Pour nous, des prérogatives peu précises peuvent nuire à l'efficacité de l'instance », explique Moez Bouraoui. Une efficacité indispensable pour la nouvelle Isie, qui fera face à plusieurs défis avant le jour du scrutin, dont la fastidieuse opération d'enregistrement des électeurs. Plus indulgente à l'égard de l'expérience tunisienne, la fondation américaine Carter, qui surveille le processus électoral en Tunisie, met en garde les autorités tunisiennes dans une déclaration en date du 23 décembre 2013. «Il semble peu réaliste d'envisager la tenue d'élections — et notamment des élections parlementaires — en moins de six mois à compter de la mise en place de l'Isie, y compris l'établissement de ses structures internes, et de l'adoption de la loi électorale », souligne un rapport tout en précisant que la mise en place de la nouvelle Isie, avec toutes ses structures, est un processus long qui peut prendre plusieurs mois. D'un autre côté, le même rapport invite les autorités tunisiennes à ne pas s'attacher aux délais coûte que coûte sous peine de bâcler le processus électoral. Néanmoins, Marion Volkmann, ex-directrice du bureau du centre Carter à Tunis, tempère : « Il est raisonnable de penser que les délais fixés dans la Constitution pourront être tenus. Ne serait-ce que parce que la Tunisie, ses institutions et ses citoyens ont depuis trois ans relevé tellement de défis qui paraissaient impossibles au préalable ».