Il aura tout dit — ou presque — sans pointer du doigt qui que ce soit. Mais on aura tout compris Ayant fait partie du dernier gouvernement de la Troïka, présidé par le nahdhaoui Ali Laârayedh, on a douté de son objectivité, de sa neutralité et de sa capacité à mener à bon port la transition vers des élections propres, transparentes et au-dessus de tout soupçon. On s'est même interrogé sur les raisons de son «parachutage» à la dernière minute du Dialogue national, alors que son nom n'avait à aucun moment, lors des longues transactions, été cité comme futur chef du gouvernement de la période de transition. C'est dans ce climat de suspicion, de doute et — disons-le — de dénonciation que Mehdi Jomâa a pris ses fonctions, imposant son cabinet dont certains membres étaient pourtant décriés (les ministres de l'Intérieur et du Tourisme, notamment). Son programme, sobre et sans grande prétention, était conforme à la feuille de route qui l'a amené au Palais de La Kasbah. Depuis, il s'est fait discret et ne s'est particulièrement manifesté que par les deux visites qu'il a effectuées en Algérie (dossier sécuritaire et diplomatie de bon voisinage obligent) et au Maroc (signal de sa volonté d'asseoir la Tunisie dans son environnement maghrébin), ce qui ne l'a pas empêché, en un peu plus d'un mois, de démontrer que «son» ministre de l'Intérieur n'était pas inféodé aux intégristes extrémistes (Ansar Echaria en sait quelque chose) et qu'il était décidé à réviser réellement les nominations à caractère partisan (dix-huit gouverneurs limogés). Dans sa première vraie sortie publique, Mehdi Jomâa, qui paraissait serein, maîtrisant ses dossiers, sûr de son diagnostic et malgré tout optimiste quant aux solutions qu'il compte mettre en œuvre, a été lundi dernier, lors de son interview télévisée, sincère sans offusquer et direct sans pointer du doigt qui que ce soit. «Pendant ces trois années, nous n'avons pas travaillé, n'avons pas respecté les institutions de l'Etat ni les lois. Nous n'avons pas produit. Ce n'est pas cela la révolution. Une autre révolution commence. Celle des mentalités et du travail. Cela passe par une restructuration à grande échelle des entreprises publiques, d'abord, par une dynamisation de l'économie par des mesures stratégiques, ensuite». Un constat simple où il aura tout dit sans accuser — d'une manière directe — celui-ci ou celui-là des gouvernements qui ont précédé le sien. Ce tact d'un fin diplomate, qui est en voie de se révéler, n'a pas voilé le décideur qui paraît avoir bien réfléchi à la voie qu'il compte suivre et aux mesures qu'il veut entreprendre. Ces mesures se résument pour l'essentiel en l'assurance des moyens à même de garantir la transparence de l'opération électorale, afin qu'elle ne soit entachée d'aucune contestation (sérieuse, s'entend), reprendre le contrôle des mosquées qui sont sous la coupe des extrémistes et y rétablir les «imams» dûment nommés par le ministère des Affaires religieuses, lutter à fond contre l'hydre terroriste et tout mettre en œuvre pour que les près de 250 projets de relance économique prévus dans les régions soient mis à exécution. A propos de la situation économique, Mehdi Jomaâ aura été clair, sans verser dans la dramatisation, promettant de chercher des sources d'investissement extérieur et appelant à un dialogue national consacré à l'économie et à une souscription interne, pour faire face à des difficultés réelles : une masse salariale représentant 60% du budget de l'Etat, un surendettement, un taux de croissance en deçà de ce qui est escompté... L'intervention télévisée du chef du gouvernement aura porté sur tous les domaines dont celui diplomatique où la Tunisie cherchera à se repositionner. Elle aura eu le mérite d'être posée, claire, directe, sincère et pas trop alarmiste, malgré les différentes difficultés sérieuses que le pays connaît. Et même s'il a manqué aux propos de Mehdi Jomâa ce brin d'émotion, ces phrases «intelligentes» qui suscitent l'enthousiasme et l'adhésion du public, ils auront apporté un certain réconfort et surtout de l'espoir en une Tunisie battante, une Tunisie qui ira de l'avant vers un avenir fait de modernité, de démocratie et de mieux-être. Aujourd'hui, nous pouvons dire que le Quartet (peu importe qui l'a proposé) n'a pas si mal vu en installant Jomâa au Palais de La Kasbah. Pourvu qu'on ne lui jette pas trop d'embûches sur son chemin.