J'ai suivi avec une grande attention l'entretien accordé par le Chef du gouvernement Mehdi Jomaa à la Télévision nationale et Nessma TV, ensemble. Contrairement à quelques avis, j'avoue l'avoir trouvé assez communicatif, pour quelqu'un qui n'en a pas l'habitude. J'en connais qui, avant lui, avaient mis beaucoup trop de temps pour apprendre à « passer à la télé ». Bon, cela est certes important, mais ce n'est pas l'essentiel aujourd'hui. Ce qu'il importe de retenir, à mon avis, c'est que nous avons, depuis janvier 2011, le premier discours franc et sincère, responsable et responsabilisant, peut-être du fait même de son caractère alarmant. Autant dire qu'on n'est capable d'alarmer sérieusement et véritablement, que quand on prend une réelle conscience du danger, quand on se donne le courage de la dévoiler et quand on assume la responsabilité d'y parer. Les propos de Mehdi Jomaa m'ont personnellement laissé cette impression, quoi qu'en disent ceux qui pensent le contraire. Je crois même que cette impression qu'il a donnée vient du fait qu'il s'est placé pleinement et franchement en dehors de toute logique partisane et à égale distance de tous les citoyens (beaucoup plus que des partis), pour y retrouver les droits à consacrer, les devoirs à exiger et les compétences à reconnaître. Cela s'est doublé d'une conscience légaliste réaffirmée pour redresser un Etat en vacillement inquiétant et stabiliser une société en perturbation fâcheuse. C'est sans doute dans cette perspective qu'il ne s'est pas donné le statut d'un héros et qu'il est resté dans le respect des instances impliquées dans l'engagement de cette dernière étape de transition : l'ANC, le Quartet et même la Présidence pour ce qui concerne la diplomatie. Mais l'image la plus importante qu'il a laissée de lui, un mois après sa prise en charge des responsabilités du gouvernement, c'est celle d'un responsable méthodique, sachant procéder à une juste évaluation des choses, et à un raisonnable et rationnel classement des priorités. Cela fait, le peuple en a été informé, n'en déplaise à certains qui auraient souhaité cacher plusieurs vérités. Inutile de revenir sur les indicateurs au rouge, trop au rouge pour ne pas rappeler le sang de tous ceux qui se sont sacrifiés pour ce beau pays, aujourd'hui traîné, au propre et au figuré, dans la boue de toutes les aberrations : immobilisme de l'énergie laborieuse, rétention de l'élan investisseur, délabrement des structures administratives, corruption de la conscience responsable et citoyenne, fragilisation des rouages de l'Etat, et indigence catastrophique des caisses de l'Etat. Sans parler de ces ceintures piégées qui enserrent les frontières de notre pays et qui pourrissent à l'étouffement certaines parties de son corps ! Ce peuple, aujourd'hui informé, assume la responsabilité de l'avenir, autant que l'assume le gouvernement en place. Je l'avais signalé au début du choix de Mehdi Jomaa pour la présidence du gouvernement : certaines formations politiques ou pseudo-politiques, voire même certaines instances officielles risquent de ne pas le laisser évoluer sereinement dans l'application de « SA feuille de route », celle dont il a fait état dans son entretien télévisé. Il importe donc que le peuple se range, ne serait-ce que pour moins d'une année, de ce côté du soutien, le soutien au gouvernement, contre toutes les intentions de blocage de sa gestion et de sa gouvernance. Qu'il y ait quelques sacrifices à consentir, pourquoi pas tant que ceux-ci seront rationalisés et répartis en équité. Qu'il y ait beaucoup de mobilisation, pourquoi pas tant que cet effort n'est pas fonctionnalisé au profit d'une idéologie plutôt qu'une autre, ou d'une mouvance politique contre une autre. Mehdi Jomaa l'a bien souligné, à demi-mot, avec la correction requise : la Tunisie a besoin de tous les siens, sans exclusion et sans discrimination. C'est pourquoi ses vrais ennemis aujourd'hui ne sont plus à chercher dans le passé ; mais dans les attitudes haineuses et revanchardes qui, pour une vengeance personnelle ou pour la satisfaction d'un petit complexe infantile, seraient capables de brûler la maison et tous ceux qui y sont. Les forces destructrices ne sont jamais majoritaires ; mais le préjudice qu'elles sont capables d'occasionner est plus tonnant et ses effets difficilement réparables. Pourvu que les forces constructives se liguent pour faire obstacle à l'invasion barbare des discours enflammés et du banditisme politique ! Sinon, le pire est vraiment à craindre.