La Coalition civile de défense de la liberté d'expression a organisé, hier à Tunis, un atelier sur : « La composition des conseils d'administration des médias audiovisuels publics ». La rencontre a fait la lumière sur une des structures clés de ces entreprises publiques, qui paradoxalement continuent à fonctionner comme au temps de la dictature. Tels des « gouvernements de l'ombre » où en sont exclus journalistes et société civile. L'atelier sur la composition et le rôle joué par les conseils d'administration des médias audiovisuels publics s'inscrit dans la nouvelle dynamique initiée dernièrement par la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). Le mercredi 12 février, l'autorité de régulation de l'audiovisuel lançait un appel à candidatures pour les deux postes de PDG de la télé et de la radio nationales sur la base de critères d'équité, d'indépendance et de compétence. « Un processus, qui est pour nous une source de satisfaction, a été déclenché. Or, on ne peut choisir un PDG selon des standards internationaux et laisser les conseils d'administration inchangés et évoluant en décalage total par rapport à cette nouvelle donne », explique Kamel Labidi, ancien président de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication et membre de la Coalition civile de défense de la liberté d'expression. En fait, les conseils d'administration des médias publics, qu'ils soient audiovisuels ou écrits, se ressemblent tous. Ils ont été taillés sur mesure sur les rouages d'un système autoritaire basé sur la propagande et surtout la dépendance totale du secteur des médias vis-à-vis du pouvoir politique. Mais comment peut-on continuer à s'y référer alors que le pays a connu une révolution de la « liberté et de la dignité » ? Consulter la société civile C'est la question posée par Habib Belaid, membre de la Haica et ancien PDG de la radio tunisienne, dans son intervention. Habib Belaid a établi une chronologie édifiante des dates clés de la radio, dont la création du Conseil des programmes de la Radio télévision tunisienne (RTT) le 8 février 1975, composé d'un nombre important d'officiels du régime bourguibien mais également de membres d'organisations nationales (Ugtt – Utica – Unft – Uget – Utoj, Union tunisienne des organisations de jeunesse ...). Le conseil ne fait pas long feu, probablement pour sa dimension avant-gardiste. C'est en 2007, avec la séparation de la radio tunisienne de la télé que les deux établissements publics à caractère non administratif, soumis à la tutelle du ministre chargé de la Communication seront désormais administrés par un Conseil d'administration présidé par un PDG désigné par décret. Sur les 10 membres de ces conseils, 8 sont désignés par les pouvoirs publics ! Comment peut-on parler dans ce cas d'indépendance ? Comment dans ces conditions réaliser le passage de médias d'Etat à des médias de service public ? « Aujourd'hui, il n'y a plus de ministère ni de direction générale de l'information, ou de la communication. Il est impératif que les médias publics fassent leur révolution. La composition et les prérogatives du Conseil d'administration de la Radio tunisienne sont toujours en vigueur. Il est temps de repenser le conseil d'administration de la Radio dans un esprit d'ouverture sur les représentants de la société civile (les syndicats entre autres)», affirme Habib Belaïd. Le représentant de la Haute autorité recommande : « Une réforme profonde est à entreprendre dans la transparence totale au sein de ces deux établissements, avec la participation de tous les corps de métiers et une large consultation à ce sujet auprès de tous les membres de la grande famille des professionnels des médias, mais aussi auprès de la société civile et des experts nationaux et internationaux ». Y a-t-il un journaliste dans la salle ? Abdelkérim Hizaoui, directeur général du Capjc et enseignant à l'Ipsi, a présenté en prélude de sa lecture de l'accord du 6 mars 2012 entre le gouvernement et l'Ugtt sur la composition du Conseil d'administration de la télé, un témoignage précieux sur sa participation au conseil d'administration du journal La Presse. « Seules les questions liées aux finances étaient abordées au sein de cette structure. J'étais le seul à évoquer des sujets se rapportant à la rédaction et qui n'intéressaient visiblement personne des neuf membres du conseil de La Presse où aucun journaliste ne siégeait. En août 2013, j'ai été écarté du conseil et remplacé par un autre représentant de la présidence du gouvernement ». Dans son analyse du nouveau conseil de la télé nationale, A. Hizaoui a fait remarquer à quel point la composition se distinguait par son déséquilibre : les pouvoirs publics continuent à y désigner la majorité des membres. Ce qui contredit le principe d'indépendance énoncé à l'article 1 de l'accord du 6. mars Les participants à l'atelier ont par la suite écouté les interventions de Najla Al Omaray sur l'expérience de la BBC, celle de Marc Janssen sur l'approche belge et celle de Guy Berger sur l'expérience sud-africaine. A la fin de la journée, Steve Buckley, consultant international et observateur attentionné de la scène médiatique tunisienne depuis la révolution, notera qu'en Tunisie « il est urgent de clarifier tout d'abord les missions du service public et ensuite changer le cadre légal des conseils d'administration que sont les statuts des entreprises médiatiques publiques. Pour cette situation transitoire, on peut toujours penser à des conseils d'administration transitoires ! ».