La politique de subvention adoptée par la Tunisie symbolise les défis auxquels le pays est confronté : la question de distribution des ressources. En effet, l'évaluation de l'efficacité des subventions énergétiques par rapport à des politiques alternatives est fondamentale pour répondre à certaines questions : qui bénéficie des subventions énergétiques ? Quel impact économique auraient les différents scénarios de réforme des subventions énergétiques, notamment sur la croissance et la consommation ? Quelles sont les options possibles pour réformer ces subventions ? Ces axes et bien d'autres ont été analysés dans l'étude sur les subventions énergétiques, élaborée par la Banque mondiale en concertation avec les différents ministères tunisiens concernés, les partenaires sociaux (syndicat et patronat), les représentants de la société civile, où les experts nationaux et l'équipe de travail de la BM montrent qu'une «réforme compréhensive des subventions énergétiques serait cruciale, et ce, à travers le renforcement du système actuel de protection sociale destiné aux ménages vulnérables et un appui temporaire aux secteurs-clés». Inabordables, inégales En valeur, les subventions représentent l'équivalent du déficit public et dépassent les dépenses en transport, en santé et en retraite. Elles se sont situées à 4,7% du PIB en avril 2013, soit l'équivalent du déficit public moyennant 1,5% du PIB. Ces dépenses comprennent 3,3% du PIB allouées aux subventions directes des prix énergétiques et 1,4% allouées à la raffinerie et à la production de l'énergie. «S'ajoutant à celles des produits alimentaires (1,8% du PIB) et du transport (0,4% du PIB), ces subventions pèsent lourd sur les finances publiques. La plupart des subventions vont à trois produits : le diesel, le gaz de pétrole liquéfié (GPL) et l'électricité. En 2013, la moitié des subventions énergétiques a été allouée aux carburants (49%) alors que l'autre moitié a concerné l'électricité (51%)». Les consommateurs principaux varient par produit. Pour le diesel, 57% de la consommation est attribuable au transport public et privé, pour le GPL, 69% est consommé par les ménages, pour l'essence, 100% va au transport, et pour le fuel, 73% est réservé à la génération d'électricité. L'étude a montré que «les inégalités sont très marquantes. Plus on consomme et plus on bénéficie de subventions». Parmi les ménages et pour les bénéfices directs, les ménages aux revenus les plus bas ne bénéficient que d'un maximum de 2% des subventions à l'essence et au diesel, alors que les ménages aux revenus les plus élevés bénéficient de 67% des subventions à l'essence et de 60% des subventions au diesel. S'agissant des subventions à l'électricité, les ménages aux revenus les plus bas bénéficient de 13% des subventions alors que les ménages aux revenus les plus élevés en bénéficient à hauteur de 29%. Enfin pour le GPL, 15% des bénéfices vont aux revenus les plus bas, alors que 21% vont à ceux aux revenus les plus élevés. C'est dire que «le diesel et l'électricité contribuent à la réalisation de bénéfices indirects par le biais d'autres produits consommés par les ménages, à savoir les biens dont la production nécessite l'énergie». Les secteurs à forte intensité énergétique tels que l'électricité, le transport terrestre, l'agriculture et la pêche, le textile, et les services domestiques devraient enregistrer une diminution de la production de l'ordre de -3,8% à -6,7% (en cas de réforme de toutes les subventions énergétiques). Scénarios de réformes Deux scénarios de réformes ont été conçus en vue d'évaluer leur impact sur les indicateurs économiques tels que le taux de croissance, l'évolution du déficit public, la production par secteur, la demande d'emploi et la consommation des ménages. Une réforme dont «l'effet consiste en une augmentation annuelle moyenne de 0.12 et de 0.21 % suite à, respectivement, la suppression des subventions au GPL et à l'essence et la suppression des subventions à l'ensemble des produits. Il s'agit cependant d'une estimation à considérer avec prudence car elle suppose un réinvestissement des épargnes dans l'économie». Suite à la réforme des subventions, notamment au diesel et à l'électricité, la production devrait augmenter dans des secteurs tels que le bâtiment, l'hydrocarbure raffiné, les industries non-métalliques, les industries mécaniques et le transport aérien. En outre, «la baisse du pouvoir d'achat entrainée par la hausse des prix des carburants ne permettrait pas aux entreprises de répercuter la totalité de la hausse des coûts que si elles sont sûres que cette hausse ne réduira pas leurs niveaux des ventes». Les subventions énergétiques requièrent une réforme compréhensive et urgente. Le système des subventions énergétiques en Tunisie souffre d'importants dysfonctionnements. «Ce système est insoutenable sur le plan budgétaire, inéquitable d'un point de vue social et inefficient sur le plan économique». Il est lié aux politiques à la fois économiques, sociales et énergétiques. La clé de la réforme nécessite un dialogue et une communication clairs et établis bien à l'avance. Par ailleurs, l'étude évoque l'éventualité d'un remplacement des subventions par des transferts monétaires qui pourront protéger le pouvoir d'achat, «avec une assistance aux secteurs-clés pour mitiger certains impacts sectoriels à court terme. Le progrès serait réalisable en réduisant l'inégalité et le poids des subventions énergétiques. A long terme, la réforme des subventions appuiera la conversion de l'économie tunisienne en une économie inclusive». Nous y reviendrons.