L'annonce de la démission de Hamadi Jebali, secrétaire général d'Ennahdha, intrigue à plus d'un titre. Elle jette de l'ombre sur ses véritables motivations. Et préfigure des chamboulements d'envergure à Montplaisir Une annonce tronquée, bien évidemment et qui plus est, datant du 5 mars 2014, elle est toujours en sursis d'exécution, voire d'approbation ! La mise au point faite hier par le principal intéressé rajoute au mystère. Parce que le principal parti islamiste de la place entretient une espèce de flou délibéré quant aux divergences et clivages qui secouent ses rangs, ses structures dirigeantes, le ban et l'arrière-ban. Résumons. L'expérience des deux gouvernements de la Troïka démissionnaire sous les coups de boutoir de la contestation populaire a été ravageuse. L'usure du pouvoir a été rapide, brutale même. Interrogé sur la signification de l'exercice du pouvoir, Noureddine Bhiri, haut dirigeant d'Ennahdha et ministre de la Justice à l'époque, m'avait confié en murmurant entre ses dents: «C'est un holocauste» ! Pourtant, Ennahdha avait fait de son neuvième congrès, tenu à la mi-juillet 2012 à Tunis, un non-événement en bonne et due forme. On s'y est contenté d'interminables salamalecs sur fond de consensus mou, de pose et de photos de famille. Et l'on y a décidé de discuter des questions de fond lors du prochain congrès prévu en 2014. Pourtant, aujourd'hui, les nahdhaouis s'avisent d'organiser un référendum (?) sur l'opportunité de la tenue dudit congrès. En fait, la donne nationale et internationale a changé entre-temps. Sans qu'Ennahdha ne change d'un iota. En Syrie, la rébellion islamiste armée s'enlise dans une interminable folie meurtrière. En Egypte, les Frères musulmans ont perdu le pouvoir, dilapidant, en moins d'une année, 83 ans d'existence pour la conquête du pouvoir. Au Soudan, le pouvoir islamiste a scindé le pays en deux Etats antagonistes, d'autres partitions étant encore à craindre. En Libye, les mouvances islamistes n'en finissent pas de plonger le pays dans le chaos, l'anarchie, les tueries à large échelle. Et puis Hamadi Jebali n'en est pas à sa première parade. Le 6 février 2013, il avait jeté l'éponge et annoncé la démission de son gouvernement, le jour même de l'assassinat terroriste de Chokri Belaïd. Il avait plaidé la cause d'un gouvernement de compétences nationales. L'aile dure d'Ennahdha et une partie de l'opposition avaient torpillé l'initiative. Et Jebali était resté impassible, sans même un regret. Un second gouvernement de la Troïka, dirigé par un nahdhaoui, Ali Laârayedh, lui avait succédé. Pour démissionner lui aussi une année plus tard sur fond d'une crise politique et économique insoutenable. Et à l'issue d'un second assassinat terroriste d'un chef de l'opposition. Tout au plus, Jebali a-t-il donné l'impression de prendre ses distances du mouvement Ennahdha, dont il est l'un des pionniers ? Sans toutefois se résoudre à couper le cordon ombilical. Qu'en reste-t-il ? Quelques interviews, quelque tournée européenne, des fuites et des supputations. Sitôt la nouvelle Constitution adoptée à l'issue d'épreuves de force où l'aile dure d'Ennahdha a laissé des plumes, une nouvelle mécanique s'est mise en place. La droite d'Ennahdha frétille, conteste, bougonne. Elle annonce des remises en cause, des démissions, voire des scissions. On accuse Ghannouchi et consorts d'avoir consenti trop de concessions. Et l'on s'avise de ramener le mouvement au cap des fondamentalistes intransigeants, purs et durs. L'initiative de Néjib Gharbi, dirigeant démissionnaire d'Ennahdha et qui vient de créer un nouveau parti, s'inscrit dans cette optique. Hamadi Jebali, lui, n'en finit pas de faire le pied de grue dans le vestibule. Il annonce une démission encore en suspens, trois semaines durant, parce que non approuvée. Il démissionne du poste de secrétaire général tout en ne disant rien de son appartenance au parti. Il ne nie pas son hypothétique candidature à l'élection présidentielle tout en disant qu'actuellement ce n'est guère à l'ordre du jour. Il amorce un départ annoncé sans pour autant quitter. Bref, c'est le flou artistique. Et les conjectures et supputations de reprendre de plus belle. Qui fait quoi, où, quand et pourquoi? C'est le vertige à Montplaisir. Et si tout cela n'est que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie, comme dans les Contes de ma Mère l'Oye ?