Comment considérer les rapports entre science et religion ? Quelle est la relation secrète entre la foi et le savoir dans les actes de notre pensée ? Et quelles sont les dérives ?... Le professeur Pascal Engel a donné, lundi dernier, à la Bibliothèque nationale, une conférence sur le thème : «Science et religion». Un événement qui s'inscrit dans le cycle des conférences de l'Institut français de Tunisie «Penser la science». «Directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), membre du Centre de Recherches sur les Arts et le Langage (CRAL) et du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Pascal Engel partage son analyse sur les rapports entre la science et la religion dans nos sociétés contemporaines» : c'est en ces termes que le présente la brochure de la conférence. Epistémologie de la croyance ordinaire La notion de croyance est le fil que tient Pascal Engel pour aborder ce qu'il considère comme la question classique des rapports entre science et religion. Il commence son exposé par une «petite épistémologie de la croyance ordinaire» (qui obéit au vrai/faux), où il explique la différence et les variations entre les «raisons» et les «causes » d'une croyance. Alors que la raison relève de l'aspect rationnel et normatif de la croyance, la cause reste explicative. Le professeur en donne divers exemples qui vont de la vie de tous les jours à des versets du Coran. Il s'appuie également sur des penseurs du passé, comme Blaise Pascal ou W.K Clifford. Ce dernier a notamment développé l'idée d'une «éthique de la croyance», en affirmant qu'«on a tort, partout et toujours, de croire sur la base de données insuffisantes». A son tour, il pense que «l'éthique de la croyance est guidée par la connaissance». Il termine cette partie en évoquant les méthodes de fixation de la croyance : méthode de ténacité où il s'agit de rester sur ses croyances intérieures, à l'abri de toute influence extérieure ; la méthode d'autorité où il faut adopter la croyance de l'Etat, comme c'est le cas dans le roman de George Orwell 1984 ; la méthode de l'a priori qui consiste à croire ce qui plaît à notre raison et, enfin, la méthode scientifique où chaque Homme, à partir des mêmes données, arrive à la même conclusion, quitte à démentir sa croyance. «Chaque méthode a ses avantages, mais seule la méthode scientifique peut rencontrer le faux. C'est la méthode la plus désagréable», résume Pascal Engel. Science et religion : compatibles ou incompatibles ? Dans la deuxième partie de la conférence, Pascal Engel expose les quatre grandes attitudes sur les relations entre la science et la religion. Premièrement, il parle de «littéralisme religieux associé à un instrumentalisme scientifique». Dans ce cas, il explique qu'on peut croire, au sens ordinaire, les propositions de la foi religieuse, mais pas celle de la science. Deuxièmement, cette relation peut prendre la forme d'«un expressivisme religieux et un littéralisme scientifique». La religion ne serait, dans ce cas, ni vraie ni fausse : elle exprime notre sentiment, alors que la science est vraie ou fausse. Troisièmement, science et religion sont dans un «instrumentalisme généralisé», où ni l'une ni l'autre ne relèvent de la croyance ordinaire, elles ne sont toutes les deux ni vraies ni fausses. Elles sont seulement vérifiables empiriquement, comme le dit le philosophe Emmanuel Kant. Quatrièmement, on est dans l'opposé du cas précédant, et donc science et religion relèvent toutes deux de la croyance ordinaire et sont vraies ou fausses. Pascal Engel ajoute qu'une cinquième position vient tout récemment de s'ajouter à ces propositions. Elle est défendue dans l'ouvrage Religion sans Dieu de Ronald Dworkin. Le raisonnement du professeur Pascal Engel, en partant de la notion de croyance ordinaire, lui permet de conclure que science et religion sont incompatibles si elles adoptent toutes deux la conception ordinaire de la croyance : si l'une est vraie, l'autre est fausse. Elles sont par contre compatibles si on admet que la croyance religieuse et la croyance scientifique ne sont pas des croyances au sens ordinaire. Sa propre conviction est que, sur le plan intellectuel, un rapport de conflit ouvert entre science et religion est le seul rapport viable. Ainsi, une question s'impose à son esprit : «Comment organiser un régime de conflit intellectuel et d'accord pacifique sur le plan de la vie commune ?»