Bien avant les assises du dialogue économique national, prévues mercredi prochain, organisations et mouvements sociaux sont en conclave depuis vendredi dans des journées de réflexion sur la vision de la société civile à l'égard des problématiques économiques actuelles. Cette réaction intervient en réponse à la position sous-entendue approuvée par le gouvernement Jomâa qui laissait penser que les choix stratégiques pour un modèle économique alternatif ne relèvent pas des compétences des acteurs associatifs. Et que les grands chantiers économiques d'actualité brûlante ne sont que l'apanage des décideurs politiques, loin de toute impression venue d'ici et de là, mais aussi des feux des critiques lancés à tort ou à raison. Ce qui ne plaît jamais à la société civile post-révolution, celle qui se veut une force de pression et de proposition. Cette initiative prise par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) est d'autant plus de portée qu'elle impose au gouvernement d'en finir avec la politique du fait accompli. Car, d'après le Ftdes, concevoir un nouveau modèle de développement alternatif commande une démarche participative, mettant en avant les choix prioritaires d'une société en transition. La rencontre associative d'avant-hier s'inscrit bel et bien dans le droit fil des préparatifs déjà engagés, il y a quelques semaines, afin de se positionner d'égal à égal et d'agir pour l'intérêt général du pays. Tous les participants aux journées de réflexion étaient unanimes sur le fait que l'avenir de la nation ne saurait se décider unilatéralement et que les alternatives économiques possibles ne pourraient ainsi prendre forme sans la participation de toutes les forces vives de la société. L'Ugtt est, en fait, revenue à la charge, après avoir décidé de ne pas se rendre au rendez-vous du 28 mai, faute de consensus avec le gouvernement sur les questions de l'heure devant figurer à l'ordre du jour, à savoir la réforme fiscale, la lutte contre l'évasion fiscale, la révision des prix des produits de base et l'amélioration du pouvoir d'achat du citoyen. Autant de fondements de la justice sociale et de l'équilibre régional sur lesquels bute, des décennies durant, l'actuel modèle de développement qui a fini par faire tomber le régime de Ben Ali. M. Samir Cheffi, secrétaire général adjoint de la centrale syndicale, a tenu à réaffirmer la position de l'Ugtt sur les choix stratégiques que le gouvernement a tendance à réajuster : «On ne peut, en aucun cas, laisser passer des mesures draconiennes touchant à la structure économique nationale et au pouvoir d'achat de la classe pauvre et moyenne ». Et d'ajouter qu'il faut se battre dans les commissions préparatoires qui seront mises en place pour que les recommandations issues du dialogue puissent avoir un caractère contraignant. « Nous craignons que ce dialogue économique ne soit un prétexte pour imposer des décisions ne répondant point aux attentes du consommateur», s'indigne le président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (Ltdh), Me Abdessattar Ben Moussa. Au départ, rappelle-t-il, l'ordre du jour, tel qu'élaboré a priori par le gouvernement, avait excepté des questions préoccupantes, en l'occurrence l'évasion fiscale, la contrebande, le marché parallèle et bien d'autres d'importance majeure. Et Me Ben Moussa de se rétracter, « fort heureusement que le gouvernement vient de céder aux pressions de l'Ugtt qui voulait boycotter les travaux du dialogue économique». Ce revirement de position est en mesure de redistribuer les cartes, sur fond d'un débat qui s'annonce beaucoup plus ouvert et fructueux. Surtout qu'il a été finalement permis à la société civile d'y prendre part. « Avec la rectification du programme du congrès, l'on doit alors remettre sur le tapis les questions qui nous semblent de taille, à savoir la justice fiscale, l'équité sociale et la réduction des inégalités entre les régions.. », espère-t-il. Toutefois, le rôle de la société civile serait limité à un aspect consultatif. Seules les recommandations du dialogue du 28 mai auront un pouvoir décisionnel. Quant à Jawhar Ben Mbarek, coordinateur général du réseau « Destourna », il n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer les intentions dérobées du gouvernement Jomâa, en ce qui concerne les grandes lignes des orientations générales de l'étape actuelle. Sans omettre de révéler que certaines réserves se rapportant à une telle démarche unilatérale ont été émises à cet effet. Cette politique de fuite en avant, croit-il, donne l'impression que ce gouvernement en place, aussi apolitique soit-il, cherche à dicter des choix libéraux aussi affligeants qu'ils pourraient déstabiliser les catégories à faible revenu et leur faire subir le fardeau de la crise financière dont souffre le pays. D'après Ben Mbarek, ces révélations non rassurantes avaient pour slogans creux la « rationalisation de la compensation, le recours à l'endettement extérieur et l'annulation de tout recrutement dans la fonction publique».