Par Azza FILALI La loi 52 réglementant la détention, le trafic et la consommation de drogues est en passe d'être remaniée afin de mieux adhérer à « l'air du temps ». Cette décision est venue après l'arrestation du rappeur Aziz Amami, arrêté en possession d'une quantité de cannabis pour consommation personnelle. Il est vrai que les lois ont besoin d'être rafraîchies au fil du temps et que les valeurs les ayant érigées peuvent avoir subi de profonds changements. Il n'est que de voir l'évolution des lois réglementant l'usage des drogues en Europe. La tendance générale consiste à décriminaliser la consommation, tout en continuant à pénaliser la détention, tout comme le trafic, ces deux derniers étant en général assimilés. Ainsi, lorsqu'un consommateur de cannabis est arrêté en France ou en Espagne, il est le plus souvent relâché après une brève garde à vue, avec des conseils de bonne conduite ou une incitation à une prise en charge psychologique. Aux deux extrêmes de la législation européenne, on trouve la Suède qui pénalise de façon égale la consommation, la détention, le trafic de drogues avec comme devise : « un pays sans drogues ». A l'autre bout de la chaîne, nous avons les Pays-Bas où les fameux « coffee-shop » autorisent la consommation libre de cannabis à condition qu'elle n'excède pas cinq grammes par jour et par personne (dans un même local). Ce qui mérite d'être signalé est que les Pays Bas n'ont pas plus de décès par consommation de drogues et que le trafic de drogues n'y est pas plus élevé que dans d'autres pays à législation plus rigide. La loi régissant la consommation de drogues est un indicateur social par excellence. Toute modification dans le sens de l'assouplissement devrait survenir dans une société relativement mature et disposant de structures d'aide aux consommateurs, en somme des centres de prise en charge où assistantes sociales et psychothérapeutes essaient de démêler l'écheveau du mal-être qui pousse ces jeunes ( car il s'agit souvent de jeunes ) à consommer des drogues, qu'il s'agisse de cannabis, de médicaments ou de tout autre produit qui procure l'évasion hors d'un réel trop lourd à porter. Pour que ce qui est de ces structures, force est de constater que nous en manquons cruellement en Tunisie. Les hôpitaux psychiatriques sont submergés de malades lourds ; ils n'ont que peu de temps à consacrer à tous ceux qui se « shootent » pour changer les couleurs du temps. Pour ces derniers, Il n'existe pas de centres offrant une écoute, un suivi, une prise en charge, leur permettant de s'en sortir. Pis encore, les suicidaires qui réchappent de leur tentative, passent une courte période en centre de désintoxication puis sont adressés au tristement célèbre « Hôpital Razi » où l'affluence des consultants les décourage souvent à retourner une seconde fois. Sans structure établie et performante, à qui peut-on confier les jeunes consommateurs de drogues qu'on pourrait, désormais, laisser passer entre les mailles de la justice ? A la famille ou à la rue ? La première proposition est vaine, la seconde dangereuse. Personne n'est plus mal placé que les parents proches pour comprendre le désarroi des jeunes drogués, désarroi qui résulte, souvent en partie, de conditions familiales précaires et de conflits parfois non exprimés entre les membres d'une même famille. Dans ce sens, les réactions de la parentèle oscillent souvent entre un blâme, parfois agressif, des abjurations sans effet et un rejet pur et simple. Quant à la rue, c'est sans doute le plus mauvais remède : c'est dans la rue, avec les copains, que l'addiction s'est produite ; il suffit au consommateur d'y retourner pour que ses anciens démons se réveillent. Ainsi, sans structure d'accueil, on s'expose à voir les conduites d'addiction se pérenniser sans compter que la société tunisienne avec tous les remous connus depuis la révolution (montée de la violence, non-respect des structures établies, comportements souvent extrêmes, réactions à fleur de peau) est tout sauf une société mature. A cet égard, la crise de croissance que traverse notre société est assimilable aux affres de l'adolescence. Si ces affres sont le témoin d'une trajectoire vers la maturité, notre société est loin d'être arrivée à bon port. Tout ce qu'on peut en dire est qu'il s'agit d'une société en effervescence et en maturation mais dont la maturité effective laisse beaucoup à désirer. Dans ce cas, comment confier à une société encore peu mature, et ne disposant pas de structures adéquates une loi 52 qui « fermerait les yeux » sur la consommation de cannabis ? Soyons réalistes : de telles mesures sont prématurées et ne peuvent que générer encore plus de difficultés face à une consommation de drogues qui, selon certains, a explosé en Tunisie depuis la révolution. Faut-il rappeler que l'attentisme recèle souvent une grande sagesse !