Il aura fallu attendre les derniers jours du mois de Ramadan pour que les rues de Tunis reprennent vie et des couleurs et que les familles avec enfants affrontent la chaleur et la soif pour faire les emplettes de l'Aïd. Les rues commerçantes et les trottoirs sont de nouveau envahis par les étals anarchiques, quelques semaines seulement après une opération de ratissage par les forces de l'ordre pour décongestionner le centre-ville et dégager le devant des magasins, asphyxiés. Les vendeurs ambulants ont réinvesti l'axe commercial reliant la rue des Salines et la rue Charles de Gaulle en passant par Habib Thameur. Ils y ont réinstallé leurs tentes sur les trottoirs et au bord de la chaussée et pendu leurs marchandises. Un espace exigu est laissé aux piétons et aux véhicules. La plupart des étalages exposent au grand jour des produits de contrebande : vêtements pour homme, femme et enfant, articles de sport, électronique, tabac, produits cosmétiques, chaussures et accessoires et, bien sûr, jouets pour enfants. Ici, on ne discute pas qualité ; c'est à prendre ou à laisser. Jusqu'à 50 dinars la kalachnikov A la fête de l'Aïd El Fitr, l'enfant est roi. Outre les habits neufs, il a également droit à des jouets. Sans doute à cause des dernières mesures décisives prises par l'actuel gouvernement provisoire pour lutter contre le phénomène de la contrebande, et sans doute aussi grâce aux nombreuses opérations de saisie de marchandises illicites, le choix au niveau des jouets n'est pas très grand. Mais une catégorie de jouets trône au niveau de tous les étalages : les armes à feu et les engins militaires...en plastique bien sûr. Et là, on en a pour tous les goûts : pistolet, kalachnikov, char de combat, hélicoptère Apache, etc. C'est la tendance. Au goût du jour. Ces jouets sont tellement en vogue que les vendeurs ambulants, normalement clandestins, n'hésitent pas à les proposer à des prix prohibitifs : 50 à 35 dinars pour les « kalach », 12 à 18 D pour les fusils moins sophistiqués. Les engins militaires, en petit format, sont plus accessibles : 5 D pour le char blindé, 3 D pour l'hélico. La commercialisation des armes à feu sous forme de jouets pour enfants n'est pas une nouveauté mais que ces jouets deviennent la tendance et une mode n'est pas le fruit du hasard. « Pour que les petits deviennent des hommes... » Installée au cœur de l'avenue Habib Thameur, cette vendeuse ambulante trouve une explication imparable à son commerce de fortune : «Nous devons familiariser nos enfants avec ces objets sinon comment vont-ils devenir des hommes ?», lance-t-elle. A la question de savoir pourquoi les armes-jouets sont presque les seuls articles présents dans son étalage, la vendeuse, quadragénaire, prétend : «C'est ce qu'on nous vend, je les achète, je n'ai pas le choix». Le marché du jouet serait-il influencé par la conjoncture sécuritaire ? Sans doute, mais la vendeuse n'est pas bavarde à ce sujet. Un constat qui mériterait tout de même d'être étudié par les sociologues : contrairement aux petites filles qui se ruent sur les poupées, les garçons, même les plus petits, se jettent spontanément sur les armes. Un papa essaie de dissuader son fils de quatre ans. Sans succès. Le petit ne se calmera et n'acceptera de cesser de pleurer que lorsque la kalachnikov est devenue sienne et qu'il l'a enlacée fortement de peur de la perdre. Impuissant devant l'insistance de son fils, le jeune papa lâche prise avec le sourire : «C'est ce que veulent tous les enfants, plus aucun jouet ne les intéresse ; la télévision influence beaucoup nos choix et nos modes de vie», indique-t-il. Le grand absent de ces étals visités est le fameux pétard prisé autant par les enfants que par les adultes lors des cérémonies de mariage ou de circoncision. Serait-il servi à la tête du client en-dessous des étals ? Qui sait ? Les vendeurs ambulants interrogés n'en savent rien. Et pour cause : une mesure d'interdiction à la vente du pétard vient d'être prise par les autorités qui ont également décidé de renforcer les opérations de contrôle et d'appliquer la loi contre les contrevenants. Amel ZAIBI