Dans le monde du petit et du grand business, tout est source de profit. Une révolution comme celle qui a eu lieu en Tunisie peut rapporter même un pactole à qui sait « faire des affaires ». Hier, en nous promenant en ville, nous avons d'abord constaté que chez les vendeurs ambulants du marché parallèle, on pense déjà aux jouets de l'Aïd. Dans chacune des rues qui leur sont désormais presque exclusivement réservées, on dénombre au moins 4 à 5 vendeurs de cadeaux pour enfants. L'autre constatation c'est que plus de la moitié des jouets exposés évoquent la violence, la guerre, les exploits policiers et l'héroïsme militaire. Le lecteur peut lui-même allez le vérifier sur les tas de fusils, de pistolets, de mitraillettes, de chars, d'hélicoptères, de matraques, de menottes, de panoplies guerrières, de grenades, de ceintures de munitions, de sabres et de poignards étalés souvent à même les trottoirs. Lorsque nous demandâmes à l'un des marchands de ces jouets s'il y avait un rapport entre l'atmosphère instable que vit notre pays et le genre de joujoux qu'il vendait, il nous répondit que les grossistes chez qui il s'approvisionne misent cette année sur un succès de ces jouets violents. « Visiblement, ils n'ont pas tort : ça se vend relativement mieux que les autres types de jouets. Mais cela provient de Chine et là-bas aussi, ils savent profiter des conjonctures mondiales. » Il nous montra ensuite un modèle de mitraillette très bruyant qui fait fureur parmi ses petits clients. « Les chars sortent tout aussi bien mais les pétards ont un succès fou en ce moment ! ». Non loin de là, et toujours sur le trottoir, un autre marchand propose des tee-shirts portant des slogans (en français et en anglais) de notre révolution. Un peu plus loin, et à la faveur de la mode « niqabiste » de ces derniers temps, on vend des voiles noirs, ainsi que des sarouals et des gants féminins de la même couleur. Les bons côtés de la crise Voilà donc comment nos petits commerçants flairent les « bonnes affaires ». La Révolution, la guerre, Ramadan, la famine, la crise monétaire, les réfugiés, qu'importe l'événement. Il faut le faire fructifier. La crise libyenne par exemple profite sans doute aux grands de ce monde, mais chez nous, elle a inspiré de « géniales » trouvailles à certaines de nos grandes entreprises et à de nombreux contrebandiers : ils étaient prêts à vider la Tunisie de ses réserves de sucre, de pâtes alimentaires, d'eau minérale et de carburants pour en ravitailler, au prix fort, la Libye voisine. Dans le même temps, on déplorait dans les camps de réfugiés du sud tunisien un manque grave de denrées essentielles ! La pénurie de ciment de ces dernières semaines a tout l'air d'une fausse crise qui fleure un coup de spéculateur. Dans peu de temps, le marché sera suffisamment approvisionné en matériaux de construction mais le prix du ciment ne baissera pas ou presque pas. C'est connu : l'astuce a été longtemps éprouvée et elle continue de faire recette. On l'a déjà essayée cet été à propos du prix de l'eau en bouteille. On l'a fait grimper jusqu'à plus de 600 millimes et quand il fut soi-disant minoré, il était resté élevé par rapport au prix initial. Business culturel Mais il n'y a pas que dans le commerce qu'on fait des affaires en profitant de la Révolution. Le business « culturel » passe bien depuis le 14 janvier. Les cassettes et les CD qui raillent Ben Ali et ses hommes se sont bien vendus les premiers mois. Aujourd'hui, à l'occasion des festivals d'été, les chansons engagées ont plus que jamais la cote. Liberté, dignité, justice, rébellion, ce sont là quelques uns des ingrédients désormais indispensables à toutes les sauces musicales et à tous les plats poétiques et littéraires de la Révolution. A ce propos, un de nos poètes à succès est programmé partout, dans toutes les manifestations. Même les partis politiques semblent estimer capitale sa participation à leurs congrès ou à leurs meetings respectifs. D'autres noms beaucoup moins connus cherchent à sortir de l'ombre et, pourquoi pas, à se faire des sous en célébrant la Révolution, ses valeurs et ses héros. La télévision non plus ne pouvait pas laisser passer l'aubaine sans en tirer quelques bénéfices : les feuilletons de ce Ramadan, tout en restant médiocres, brillent par quelques pointes et allusions critiques visant l'ancien régime et par de sporadiques évocations de l'actualité révolutionnaire. En fait, une bonne partie des médias tunisiens a flairé le bon coup à jouer. Tous se considèrent désormais comme la « voix du peuple », comme les interprètes de ses soucis, comme les défenseurs de ses droits et les garants de ses libertés, avec toutefois cette petite précision (en bas des pages de forums et de tribunes, ou à la fin de certains débats télévisés) que les opinions exprimées dans ces espaces n'engagent que leurs auteurs !