Sur scène, Marcel Khalifa n'est jamais seul... Et ne se laisse jamais impressionner. Pour sa soirée du 31 juillet, le festival de Carthage a accueilli l'un de ses habitués. Le compositeur libanais Marcel Khalifa est, en effet, revenu sur cette scène qu'il a foulée à différentes époques de sa carrière. Il y est rarement venu seul. Le public l'a connu en compagnie de Oumaima Al Khalil, chanteuse de son ensemble musical Al Mayadeen, créée en 1976. La voix de cette dernière est liée à plusieurs chansons à succès de Marcel Khalifa, comme «Ouhibouka Akthar», «Asfour tal men echibak» et «Al kamanjat». Ces œuvres ne semblent avoir pris aucune ride. Leur valeur artistique les protège de l'usure du temps. Et puis, il y a cette pesante actualité, qui ne cesse de ramener ces airs à nos esprits. Jeudi dernier, Marcel Khalifa est venu avec Oumaima Al Khalil, mais pas seulement. Son spectacle a été monté avec l'Orchestre symphonique tunisien dirigé par Hafedh Makni, et sa chorale, auxquels participaient la soprano allemande Felicitas Fuchs et la chanteuse libanaise Abir Nehme. Tous ont formé un seul corps musical afin d'interpréter l'opéra poétique «Ahmad al arabi», composé par Marcel Khalifa, sur un poème éponyme de Mahmoud Darwich. Le poète palestinien décédé en 2008 a, souvent, inspiré le compositeur libanais, si proche de la cause palestinienne, et qui a mis en chanson plusieurs rimes de Darwich. Parlons un peu de « Ahmad Al Arabi », qui s'est accaparé toute la première partie de la soirée. Le poème de Darwich parle de ce jeune Palestinien qui s'appelle Ahmad, de son exil et des questions qu'il se pose sur son identité. Il a un prénom mais, tel un soldat inconnu, il est le symbole de tant de Palestiniens et d'histoires palestiniennes anonymes, que l'on résume ou que l'on réduit à une même version. Il est le symbole de la Palestine, son peuple et sa terre devenus éparpillés, en diaspora humaine et territoriale. La musique de Marcel Khalifa embrasse cette idée avec une composition fragmentaire, entre passages instrumentaux ou chantés, alternés avec des lectures d'extraits du poème, de la voix du compositeur. Marcel Khalifa s'est toujours déclaré plus proche de la musique instrumentale que des chansons. Depuis quelques années, son penchant pour la composition de symphonies et d'opéras est plus prononcé avec des œuvres comme «Suite Andalouse pour Oud ». La rencontre entre le luth et la musique classique occidentale est un thème de prédilection de son écriture. Thème qui constitue la colonne vertébrale d' «Ahmad Al Arabi». Côté chant, un savant mélange entre la voix mélodieuse d'Oumaima Al Khalil et celle de la soprano Felicitas Fuchs a fait vibrer le théâtre de Carthage, traversé, selon le chant, par des moments de mélancolie, de colère ou de révolte. Le drapeau de Palestine et de Tunisie, ainsi que des banderoles de soutien ont été brandis par le public. A son tour, Marcel Khalifa a dédié «Ahmad Al Arabi» aux enfants de Gaza et a manifesté son soutien au militant libanais Georges Ibrahim Abdallah, emprisonné à perpétuité en France. Dans la deuxième partie de la soirée, il a offert au public quelques chansons qui ont fait son succès auprès de lui. Au commencement, «Rita», avec ses magnifiques solos de luth. Puis, un «Tango pour ma bien aimée». Oumaima Al khalil est revenue sur scène pour interpréter «Ouhibouka akthar». Marcel Khalifa enchaîne avec «Montasiba al kamati amchi», qui emporte le public. Ensuite, véritable moment de grâce, l'arrivée de la chanteuse Abir Nemeh, faisant du poème «Fakir bi ghayrik», de Marmoud Darwich, une mélodie qui brille de mille feux. La musique composée par Marcel Khalifa a atteint d'autres dimensions, grâce aux variations de sa voix. «"Ahinou ila khobzi ommi" est dédiée aux martyrs tunisiens», a déclaré Marcel Khalifa avant de la chanter. En réaction, le public a commencé à crier : «Vivant, Chokri est encore vivant», évoquant la mémoire de Chokri Belaid. De suite, Marcel Khalifa a exigé le silence, comme pour rappeler que l'on est là avant tout pour la musique. Malgré les nombreux éloges adressés au public de la soirée du 31 juillet, Marcel Khalifa a encore une fois montré qu'il ne se laisse jamais impressionner par le public, qui est venu en nombre pour son concert. En guise de clôture, il a rapidement interprété «Ya bahriya», laissant quelque peu le public sur sa faim, avant de céder la place aux trois chanteuses, pour finir avec «Yaabourouna al jisra», un titre solennel et émouvant, à l'image de toute la soirée.