Je croyais en la grandeur des grandes surfaces. Je pensais qu'elles étaient aussi transparentes que le verre de leurs portes coulissantes et aussi élégantes que l'inox qui les agrémente. Je pensais qu'elles formaient le rempart officiel contre le commerce parallèle. Qu'elles forçaient le respect et inspiraient l'hygiène. Qu'elles étaient synonymes de loyauté et de juste prix. Hélas ! Je m'étais trompé. Elles m'ont déçu. Elles m'ont roulé. Pas une, pas deux; trois fois ! La première fois, c'était une histoire d'olives. Elles étaient coquettes dans leurs jolis bacs. Elles étaient brillantes et massées d'huiles essentielles. Elles étaient bronzées, joliment colorées à l'harissa, ornées de câpres, agrémentées de citrons confits, de poivre vert, de persil haché et de piment de cayenne. Elles étaient appétissantes. A la maison, je découvris qu'il s'agissait de restes d'olives de divers calibres et de diverses qualités, des pas vertes et des très mûres, au goût bizarre, qu'ils ont maquillées pour nous les vendre au lieu de les mettre à la poubelle. La seconde fois, c'était au rayon fromage. Tout bêtement, de vieux morceaux de gruyère, emballés il y a belle lurette, sont nettoyés au couteau du poids de l'âge et remis dans les rayons avec des étiquettes portant une date toute fraîche. La troisième fois, enfin, c'est au rayon poulet. Et c'est visible à l'œil nu. Dans les barquettes de filet de poulet, il y a trois morceaux. Deux morceaux frais, roses appétissants et, fatalement, un morceau de filet de poulet laid, plutôt bleu ciel qui, de toute évidence, date du dernier bombardement. Moi, quand j'ai fait ces découvertes macabres, je m'étais dit : des arnaques aussi grossières en disent long sur ce que ces gens sont prêts à nous fournir et le mal dont ils sont capables. Je m'étais dit que ces gens sont prêts à nous servir des noisettes radioactives. A nous emballer du riz douteux. A manipuler les prix. Finalement, j'ai rendu hommage à l'épicier du coin. Il ne roule pas en Hummer. Il n'a pas de belles caissières. Il n'est pas gardé par des gorilles payés moins que le smig. Il n'est pas coté en bourse. Il n'a pas de carte de fidélité. Il ne distribue pas de catalogues. Mais, lui, au moins il a beaucoup plus de pudeur. Oui, l'épicier du coin, car moi je préfère les grands cœurs aux grandes surfaces. Car les grandes surfaces nous font supermarcher et à bon entendeur, salut !