Ces documentaires témoignent d'une tendance à travers laquelle les cinéastes se filment, filment leurs histoires, leurs familles, leurs quartiers ou leurs pays... L'Association Bizerte Cinéma (ABC) a organisé, du 3 au 7 août, la troisième édition des Rencontres cinématographiques de Bizerte. Née en réaction à la fermeture des salles de cinéma dans la ville, cette manifestation est en train de s'imposer sur un territoire plus large, celui des festivals de cinéma à échelle nationale. Le partenariat entre l'ABC, la filmothèque El ManarArt et l'association Aflam, organisatrice des « Rencontres internationales des cinémas arabes de Marseille », permet aux Rencontres cinématographiques de Bizerte de montrer des films de divers horizons, pas ou peu vus ailleurs en Tunisie. On y trouve, entre autres, des films témoignant des nouvelles tendances dans le cinéma jeune arabe. Les Rencontres cinématographiques de Bizerte invitent ces films et leurs réalisateurs quand cela est possible. Elles accompagnent par la réflexion le constat que «quelque chose bouge dans le cinéma arabe», comme l'affirme le critique de cinéma tunisien Tahar Chikhaoui, directeur artistique des Rencontres de Marseille, citées plus haut. Une affirmation par laquelle il entame son texte de présentation du colloque «Le cinéma arabe, au-delà de l'engagement», tenu au lendemain de l'ouverture des rencontres de Bizerte. Le coup d'envoi en avait été donné par le documentaire algérien Chantier A, réalisé par Tarek Sami, Lucie Dèche et Karim Loualiche. «C'est le voyage de Karim qui n'était pas rentré chez lui en Algérie depuis dix ans. Avant qu'il oublie, retrouver les raisons de son départ, le grand exode, la maison qui brûle...», annonce le synopsis. Dans ce documentaire, l'homme est filmé par une caméra qui n'a pas peur des gros plans, qui s'approche des visages pour approcher les âmes. Une caméra dont le minutieux sens du cadrage et les magnifiques plans larges sur les paysages livrent des facettes rarement vues de l'Algérie. Un pays que les auteurs perçoivent comme un continent. Chantier A a interpellé et ému, par la qualité du son et de l'image, par la profondeur de son histoire et de sa quête de la forme et du sens. Surtout que, coup du sort, Karim Loualiche, protagoniste du film, est décédé quatre mois après la fin du tournage. Le montage n'avait pas encore commencé. «On en avait beaucoup discuté à trois, alors nous avons essayé de monter comme s'il était encore là, tout en prenant en compte le fait qu'il n'était plus», explique Lucie Dèche pendant le débat. Avec Tarek Sami, elle a animé l'un des deux ateliers des rencontres, atelier de tournage. Le deuxième atelier d'écriture sur le cinéma a été encadré par Hajer Bouden, avec la participation du jeune cinéaste algérien Lamine Ammar Khodja, dont le documentaire Demande à ton ombre a été projeté à Bizerte l'année dernière. Ces documentaires et d'autres, que relayent des plateformes comme les Rencontres de Marseille, celle de Bizerte ou encore les Rencontres cinématographiques de Béjaia en Algérie, témoignent d'une tendance à travers laquelle les jeunes cinéastes se filment, filment leurs histoires, leurs familles, leurs quartiers ou leurs pays. Une tendance à laquelle ils sont encouragés pendant leurs formations dans les écoles de cinéma. Ainsi, leurs premiers exercices sont leurs premiers signes de maturité. Leurs films sont leur champ d'expérimentation et de questionnement, un prolongement de leurs corps et de leurs esprits, en transformation ou face à un monde en transformation : Demande à ton ombre de Amar Khodja, ou La vierge, les coptes et moi, de l'Egyptien Namir Abdel Massih lors de la session précédente, Chantier A ou Elle et moi de la Tunisienne Rym Haddad cette année. Qu'ils soient réalisés avec un matériel réduit de son, d'image et de lumière, fait maison avec une petite caméra et une lumière naturelle, ou encore filmé intégralement avec un portable comme Hecho en casa du Tunisien Belhassen Handous, projeté en clôture, ces œuvres où les réalisateurs se filment tout en renvoyant une image de leurs pays, sont l'expression d'un nouveau visage du monde arabe et du cinéma arabe. Un visage qui n'a pas peur du miroir.