Mehdi Jomâa en chef de guerre. Il fait la moue mais l'image ne lui déplaît pas. Parce que le chef du gouvernement a fini par agir en chef de guerre. Par la force des choses. Une nouvelle stature. Et un statut qui tranche net avec l'idée que se faisaient de lui des protagonistes de la place politique il y a peu. Lors de sa nomination initiale à la mi-décembre 2013, Mehdi Jomâa avait été assimilé à un otage. Ni plus ni moins. Encore une fois, il fait la moue. Le mot lui déplaît mais il n'en traduit pas moins la vérité. Les principaux chefs de file de la Troïka gouvernementale démissionnaire le percevaient comme tel. Et s'en frottaient les mains. L'opposition d'alors s'en méfiait volontiers. Et tous le faisaient savoir. Entre-temps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Beaucoup de sang de Tunisiens a été déversé aussi. La nébuleuse terroriste n'a pas chômé. L'année 2013 avait scellé l'entrée en lice de l'escadron de la mort sous nos cieux. L'année 2014 a fini par banaliser la mort sous les charges régulières des terroristes. L'embuscade terroriste du 17 Ramadan, à la mi-juillet, et ayant coûté la vie à 15 soldats tombés en champ d'honneur, a été décisive. A la nuit tombante, Mehdi Jomâa s'était rendu au quartier général des armées d'où il a supervisé les opérations. Il s'est transcendé depuis. Profondément. Quelques heures plus tard, il a mis en place une cellule de crise qui tient lieu désormais d'état-major effectif. On y cogite, on y décide, on diligente des ordres de bataille et on demande des comptes. Côté pratique, des décisions stratégiques d'envergure ont été prises. Et elles présupposent des préalables. Ceux-ci ont été clairement définis il y a quelques jours et énoncés comme tels par le chef du gouvernement devant un parterre de hauts responsables gouvernementaux, d'experts et de journalistes. En premier lieu, ériger la question sécuritaire en priorité absolue. Deuxièmement, passer outre les considérations partisanes. Troisièmement, ne pas céder aux pressions, quelles quelles soient. Désormais, l'affaire est du ressort d'un commandement unifié. Celui-ci englobe également l'armée, la garde nationale et la police. Cela présuppose aussi la garantie de la disponibilité combative de l'armée. Nul doute que notre armée avait été éreintée, des années durant, par des déploiements inutiles et des tâches qui ne sont pas les siennes. A entendre Mehdi Jomâa il a fallu réinventer la roue en quelque sorte: «Le terrorisme a un terreau populaire, déclare-t-il. Il a des liens et des ramifications régionales et internationales et est intimement lié à la contrebande et au crime organisé. Ce qui m'a estomaqué de prime abord, poursuit-il, c'est que nos gouvernements naviguaient jusqu'ici à vue. Il n'y a aucune vision globale et à long terme. Or, il faut avoir une vision stratégique, une stratégie globale». Et de rappeler que c'est la résultante de l'abandon des plans quinquennaux... Sa panacée ? Elle se résume en la mise en place de trois cercles concentriques, un cercle diplomatique («les ennemis d'hier ne sont plus ennemis et les amis d'hier ne sont plus amis», murmure-t-il) ; un cercle économique et un cercle sécuritaire. Ghazi Jeribi, ministre de la Défense, n'est pas en reste. Ses mots sont brefs mais mûrement réfléchis. Il rappelle lui aussi les préalables clairement identifiés : garantir l'indépendance de l'institution militaire, sa neutralité et son efficience. À l'entendre, la bataille avec les terroristes requiert un positionnement adéquat. «La nature de nos montagnes empêche les terroristes d'y demeurer à perpétuelle demeure. Ils doivent se replier sur les villes et investir l'enceinte populaire», précise-t-il. Comme en Algérie en somme où le terrorisme a été essentiellement urbain. Et d'annoncer la création, depuis le 4 août, de trois nouvelles zones d'opérations militaires : Sidi Bouzid-Kasserine, le Kef-Jendouba et le Sud-Est. Chacune d'elles est chapeautée par un militaire, un commandant de brigade, et englobe le commandement unifié de l'armée, de la garde nationale et de la police. Une nouveauté d'envergure, assurément. Jusqu'ici, chacun agissait à part. L'armée elle-même n'a pas un chef d'état-major effectif. Quant aux responsables politiques, ils naviguent en eaux troubles dans une espèce de chantage politique de bas aloi (nous y reviendrons).