«Découvert» par la population durant le mois de juillet, dans la région de Gafsa, au centre-ouest du pays, l'origine de ce lac au milieu d'un désert reste mystérieuse. «Gafsa Beach» est le nom qu'ont donné les habitants de Gafsa à ce lac. «Le lac mystérieux» est celui donné par des médias américains, français, portugais... Apparu du jour au lendemain pour ceux-ci, son origine intrigue et aucune conclusion officielle n'existe à ce jour. «Les autorités publiques prennent le sujet trop à la légère», se plaint Lakhdar Souid, journaliste et habitant de Gafsa, qui s'est très vite intéressé au cas de ce lac. En effet, à part l'interdiction de baignade décidée par le ministère de la Santé, craignant que l'eau ne soit radioactive, le ministère de l'Agriculture a affirmé que le lac était d'origine pluviale, sans chercher davantage ce que veut dire son existence. Alors d'où vient l'eau de ce lac ? Des études non approfondies pour des conclusions hâtives Il y a deux écoles de pensée concernant l'origine du lac : ceux qui pensent que la polémique est inutile et que le lac est loin d'être extraordinaire et ceux qui croient que tout n'est pas dit dans cette affaire. Farid Dhahri, géologue à la faculté des Sciences de Gafsa, est le premier à avoir mené des tests sur l'eau de ce lac. Il affirme, avec certitude, que le test de l'eau a révélé des composantes chimiques qui prouvent qu'il s'agit d'eau de pluie et non d'eau souterraine. Ce lac, d'une superficie d'un hectare et pouvant atteindre une profondeur de 18 mètres, aurait donc accumulé un million de mètres cubes d'eau de pluie dans cette région aride qu'est celle de Gafsa. «Le fond est argileux, donc imperméable, et la «cuvette» est entourée de pentes, c'est donc un terrain favorable à l'accumulation d'eau», affirme Farid Dhahri, qui ajoute, toutefois, que ces résultats ne sont pas encore officiels. Des conclusions non officielles qui ont pourtant permis au ministère de diffuser ces informations dans des communiqués. Chokri Yaïech, docteur en géosciences et environnement, tient le même discours : «Ce n'est pas étonnant que la pluie ait rempli le lac, c'est le cas de tous les lacs artificiels. C'est un petit lac qui a accumulé les eaux de pluie sur une tranchée de 2 km». Il écarte l'hypothèse d'une éventuelle fracturation hydraulique (injection de liquide à très haute pression dans la roche) causée par l'exploration du gaz de schiste, qui a été plusieurs fois évoquée dans les médias étrangers : «D'abord il n'y a pas eu de test dans cette région et si cela avait été le cas, les mouvements sismiques provoqués par la fracturation hydraulique seraient trop faibles pour faire remonter l'eau d'une nappe phréatique». « Un cadeau tombé du ciel » Ce même scientifique balaie l'hypothèse d'une remontée d'eau causée par l'arrêt du pompage, autrefois excessif, de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), d'une nappe souterraine. Une hypothèse à laquelle croient Lakhdar Souid et Abdelhamid Kerem, ex-directeur des forêts, qui se disent «militants pour la vérité». Une vérité bien difficile à obtenir car, pour l'instant, aucune étude n'a apporté de conclusion plausible. Un géologue de Tunis, qui préfère rester anonyme, estime qu'il est faux d'affirmer que l'eau du lac ne serait que d'origine pluviale, «même si le secteur se prête à cette hypothèse». La région est peu pluvieuse et l'évaporation de l'eau par la chaleur est importante. Il n'exclut donc pas l'hypothèse d'une eau d'origine souterraine en plus de l'eau de pluie contenue dans le lac. Il favorise lui aussi la théorie de l'arrêt du pompage de la nappe par la CPG qui, pour le géologue, «peut constituer une bonne partie de l'humidité du lac». Si l'origine de l'eau reste inconnue, les avis divergent aussi quant à la date de naissance du lac. «J'ai visité le site en 2008 avec mes étudiants et une image de Google Earth qui date de 2009 prouve que le lac existait déjà», raconte Farid Dhahri, le géologue de Gafsa. Lakhdar Souid, qui n'avait jamais vu ce lac avant, est dubitatif : «Le lac se situe à 800 mètres de la route, très fréquentée, qui relie Gafsa à Om Laârayess». Ce «cadeau tombé du ciel», comme l'appelle le journaliste, est ainsi présenté dans les médias étrangers ; un lac qui est apparu du jour au lendemain dans cette carrière creusée dans le sol par la Compagnie des phosphates en 2002. Tous les scientifiques contactés sont d'accord sur un point : l'eau est stagnante, c'est-à-dire qu'elle n'est pas renouvelée. Cela prouve qu'il n'y a pas, ou qu'il n'y a plus de source qui alimente le lac. Selon Farid Dhahri, l'évaporation de l'eau — s'il ne pleut pas dans les mois qui viennent — fera disparaître l'eau du lac d'ici octobre. Peut-être qu'ainsi, quand le lac aura disparu ou que le niveau de l'eau remontera, les scientifiques ne pourront plus se montrer aussi indécis.