Il ne se passe pas un jour sans que le sujet du gaz de schiste ne soit abordé sur les médias internationaux. En Tunisie, ces derniers mois, la polémique autour de cet hydrocarbure très controversé dans sa manière d'extraction a pris les devants de la scène. En contrepartie et jusqu'à nos jours, les membres du gouvernement provisoire tunisien et l'ANC n'ont pas exprimé une position claire à ce sujet. Et il paraît que le pays est bien parti pour délivrer un permis d'exploration au géant pétrolier américain Shell, ce qui lui permettra de débuter ses séries de carottages et de forages de puits pilotes. Et si l'extraction non-conventionnelle de gaz naturel contenu dans des roches sédimentaires (argileuses très compactes et imperméables) appelées schistes s'est révélée comme étant une véritable manne pour les Majors pétroliers, plusieurs scientifiques ont déjà exprimé une nette réticence non pas contre le gaz en soi mais plutôt vis-à-vis de la technique d'exploitation de ce nouveau genre de fluide. En effet, pour extraire ce gaz des entrailles de la terre, les boîtes pétrolières utilisent depuis toujours la technique du « Fracking » : la fracturation hydraulique (des mini-séismes qui engendrent des micro-fractures) qui consiste à briser les roches souterraines contenant le gaz par l'injection en grande quantité et à haute pression un liquide constitué d'eau, de produits chimiques (Benzisothiazolin, dioxane et autres nonylphénol) et de sable. Or, selon l'avis des géologues, «ce cocktail est injecté en profondeur pour maintenir le puits ouvert et permettre l'extraction. Puis une bonne partie des eaux usées remonte à la surface, l'autre restant sous terre au risque de contaminer les nappes». D'ailleurs, une enquête publiée dans le New York Times a aussi démontré les risques accrus de radioactivité et de cancers à travers le déchiffrage des quelque 30 000 pages de documents confidentiels en provenance de l'EPA (l'agence américaine de protection de l'environnement) et de différentes sources internes à l'industrie pétrolière américaine. «Par exemple, au Texas (93 000 puits de gaz de schiste)», toujours selon cette enquête, «un hôpital a recensé 25% d'enfants asthmatiques dans la population des six comtés voisins, contre une moyenne de 7% dans l'Etat». Des chiffres qui donnent à réfléchir. D'autre part, la quasi-majorité des géologues et des écologistes sont unanimes sur le fait que cette technique peut transformer cette magnifique manne en une véritable malédiction. En effet, les méfaits de la fracturation hydraulique ont été pointés du doigt par plusieurs défenseurs de l'environnement et activistes à l'image de Josh Fow. Il suffit tout simplement de visualiser son film documentaire « Gasland » (2010) pour comprendre le drame lié au « Fracking » et ses effets nocifs : pollution des sols et des nappes phréatiques, surexploitation de l'eau, fuites du méthane à l'effet de serre puissant, fragilisation du terrain exploité car qui dit micro-fractures dit risques de glissement de terrains et de séismes accrus, etc. Même, le président de la République française, François Hollande, a réaffirmé, tout récemment lors d'une conférence de presse, son refus catégorique de cette technique en insistant qu'il n'y aura pas d'exploration et d'exploitation de ce genre de gaz dans son pays tant qu'il n'y aura pas d'autres techniques pour se substituer à celle de la fracturation hydraulique. « Il y a eu une loi en 2011 qui interdit la fracturation hydraulique. Tant qu'il n'y a pas de nouvelles techniques, il n'y aura pas de permis », a-t-il déclaré. Et on peut comprendre les défenseurs de l'exploitation du gaz de schiste car les enjeux économiques liés à la production de ce genre d'hydrocarbure, certes non conventionnel, sont aussi lucratifs que ceux issus d'une exploitation conventionnelle. D'où s'explique le conflit d'intérêt qui lie les grandes boîtes pétrolières avec certains scientifiques et qui poussent ces derniers à défendre bec et ongles la technique de fracturation hydraulique avec des thèses et des théories plus ou moins farfelues. Devant un tel constat, on se demande pourquoi le gouvernement tunisien ou bien l'Assemblée nationale constitutionnelle ne fait pas appel à des géologues tunisiens via l'instauration d'une commission indépendante, composée uniquement d'universitaires pour donner un rapport sur ce sujet. Il faut dire que la Tunisie a enfanté de nombreux géologues de renommée internationale à l'instar de Mohamed Hedi Negra et Ali Mrabet (deux géologues spécialistes en sédimentologie), Mohamed Gasmi (géophysicien), Noureddine Ben Ayed et Foued Zargouni (structuralistes et géologues spécialistes dans la tectonique des plaques) ou bien Lassâad Chihi (géologue spécialiste dans la microtectonique et les micro-fractures), Mohamed Soussi (géoressources), etc. Bref, ce n'est pas sorcier ! Il suffit d'écouter l'avis des experts pour comprendre que la fracturation hydraulique est une malédiction, alors pourquoi tout cet empressement ? Attendons que les recherches nous révèlent une nouvelle technique plus propre avec des adjuvants biodégradables loin des produits chimiques à effets cancérigènes. Et pour la manne, rien ne presse, elle nous attend bien cachée aux profondeurs de notre belle Tunisie.