Le décor semble avoir été sournoisement planté pour que l'on en arrive là où nous en sommes Difficile de faire le portrait-robot du candidat type à l'élection présidentielle tunisienne. Mais on peut déjà dire qu'il est à moitié fantaisiste et fantasque. Une bonne moitié — une trentaine environ — des candidatures seront refusées, croit-on savoir, leurs dossiers étant incomplets pour une raison ou une autre. En tout état de cause, plusieurs dossiers semblent avoir été mal ficelés, conçus à la va-vite et dans les temps additionnels. À preuve, lundi dernier, la dernière journée du dépôt légal des candidatures a enregistré l'afflux de quarante-trois candidats sur les soixante-dix jusqu'ici en lice. Et ça a piqué tête en avant dans le folklore. Soixante-dix candidats, un record mondial et un patchwork à la tunisienne. Il y a de tout. Des dirigeants de partis de la place, à d'illustres inconnus, en passant par des revenants et des apparatchiks en rupture de ban. En fait, cinq femmes seulement se sont présentées. L'une d'elles, par ses déclarations bizarroïdes, a carrément défrayé la chronique et alimenté l'humour noir dont les Tunisiens sont si friands. La sous-représentation des femmes en dit long sur le machisme de la place, livré à ses pulsions primaires. Côté programmes, approches et accroches, c'est plutôt l'inconsistance sur fond de mirages. Certains candidats articulent à peine des bribes de phrases à la diable. Le marchand d'illusions est passé par là. Les prestations des protagonistes dans les médias sont tantôt risibles, tantôt choquantes, à de rares exceptions près. Le registre de la communication non verbale révèle son monde sous un jour à proprement parler fellinien. Les déclarations généralistes et à l'emporte-pièce fusent. Les manières, la tenue, les aspects vestimentaires sont on ne peut plus éloquents. Et, dans la majeure partie des cas, décevants. Pour l'heure, on n'en est pas encore aux bilans. L'Instance supérieure indépendante des élections a mobilisé un très grand staff en vue de contrôler la légalité des candidatures. Et des parrainages aussi. Plus de huit cent mille personnes ont parrainé les candidats. Il faudra vérifier en premier lieu leur qualité d'électeurs. Savoir par la suite s'ils n'ont pas parrainé plus d'un candidat. Trancher le cas échéant par ordre de priorité... En somme, l'Isie s'affaire et a visiblement du pain sur la planche. Aux dernières nouvelles, certains candidats n'ont pas attendu le verdict de l'Isie. Ils préparent déjà des dossiers de recours devant la justice. L'un d'eux a même réussi à se faire coffrer avant de se présenter. Décidément, c'est la saison de tous les records. La situation requiert des analyses dignes des grandes démonstrations de la psychologie sociale. L'attrait de la liberté et les atours de la démocratie n'expliquent pas tout. En définitive, il y a lieu de concéder que, à l'instar des sciences occultes, l'élection présidentielle tunisienne escomptée à brève échéance ne brille pas particulièrement. De biens sombres personnages, desseins et motivations y président. Et l'on n'en a pas fini d'en percer les mystères. L'ennui, pour les observateurs avertis, c'est que le décor semble avoir été sournoisement planté pour que l'on en arrive là où nous en sommes. Attendons voir les développements ultérieurs. La bombe à retardement électoraliste n'a pas encore dit son dernier mot.