A Sidi Bou Saïd, sur la petite place en haut de la colline, deux galeries jumelles orchestrent des expositions simultanées, et quelquefois complémentaires. Le Violon Bleu reçoit, cette semaine, deux artistes qui se font rares sur nos cimaises : Rafik El Kamel et Gouider Triki. Rafik El Kamel avait déjà exposé, sur ces cimaises, un travail contemporain, mais aussi une collection d'œuvres anciennes, permettant de baliser un parcours qui fait de lui l'un des artistes les plus talentueux de cette génération. Son cheminement particulier le situe en dehors de tout mouvement, loin de toute école. Il est passé du figuratif le plus académique à l'abstrait le plus épuré, allant à l'essentiel dans une explosion de couleurs primaires de forte puissance. La période que nous présente le Violon Bleu est différente et mal connue. Elle date de la fin des années 80. Celui que l'on comparait, pour certaines de ses œuvres, à Francis Bacon s'apparenterait davantage, cette fois, à Warhol. Une série de portraits superbes, dont seules varient les lumières et les couleurs, une déclinaison de talent maîtrisé et de réflexion aboutie. Cette rencontre avec un Rafik El Kamel à un tournant de sa vie et de son art, ni tout à fait le même ni tout à fait autre, est un très beau moment d'émotion. Autre artiste, autre approche, qui partage les cimaises à deux niveaux de cette galerie : Gouider Triki, le plus solitaire et le plus mystérieux des peintres tunisiens. Celui qui refuse de quitter son petit village du Cap Bon, qui n'assiste jamais à ses vernissages, qui ne reçoit personne dans son atelier présente un ensemble remarquable couvrant une vingtaine d'années. Chez Gouider Triki, la nature a horreur du vide. Et ses toiles foisonnent de personnages, animaux, formes et symboles nés d'une terre nourricière et féconde dans laquelle il est enraciné. De ces champs, de ces forêts où il a trouvé son ancrage, il fait jaillir un univers de génies bénéfiques, un bestiaire magique, un monde où l'homme et la nature trouvent leur juste place, et leur équilibre idéal. Il suffit de traverser la placette, de résister à la tentation de s'asseoir sur le petit banc accueillant pour s'immerger dans un tout autre univers. Galerie Selma Feriani, on évolue dans l'art conceptuel. Invitée : Nicene Kossentini dont on découvre la première expérience de sculpteur : une chrysalide aérienne, virginale, géante, qui donne le ton et l'harmonie. Nous sommes à l'heure du papillon, celui dont le battement d'ailes peut bouleverser l'univers, et dont l'innocence ne s'achève qu'avec sa disparition. Des photomontages inventent l'impossible : des papillons sur un ciel d'orage. Des photos encore, de perspectives architecturales de ces pays mirages sortis du sable où l'artiste avait été invitée à travailler un temps. Et puis deux vidéos pour cette exposition minimaliste qui a choisi d'aller à l'essentiel : l'une restitue le mouvement éternel et toujours recommencé du ressac sur un rivage. Ce mouvement s'accompagne d'une fragmentation de la lumière, d'un écho sonore, mêlant le tout dans un cycle obsessionnel. L'autre vidéo interpelle : une ligne mouvante, changeante, tremblante. Il faut s'en approcher pour déchiffrer, sur cette ligne, la première phrase de la déclaration des droits de l'homme. Une déclaration fragile, instable, sans cesse remise en question, que rien ne parvient à stabiliser ni à imposer. De quoi vous faire réfléchir.