Le Violon Bleu et la Galerie Selma Feriani ont accueilli le public en un double vernissage... Le lieu est exceptionnel... Tout en haut du village le plus peint de Tunisie, le plus chanté des poètes, le plus admiré des esthètes, une petite place réunissait, l'autre jour, artistes peintres, galeristes, collectionneurs, et journalistes d'ici et d'ailleurs. La galerie du Violon Bleu et celle de Selma Feriani créaient l'évènement par un double vernissage, selon une tradition qu'elles ont désormais instaurée. Quatre fois par an, en effet, la mère et la fille, qui officient dans des galeries voisines, reliées par la fameuse et conviviale petite place, organisent simultanément des expositions. Et le public arty passe de l'une à l'autre, en une étonnante et sympathique synergie. Le Violon Bleu recevait, cette fois-ci, la Marocaine Najia Mehadji et ses volutes mystiques. Cette artiste, incontournable sur la scène artistique marocaine, a vu ses œuvres exposées à l'Institut du Monde Arabe, ainsi qu'au Centre Pompidou. Ayant travaillé avec Peter Brook, et le Living Theater, Najia Mahadji a exploré un travail inédit sur le corps et le geste, qui influencera de façon profonde sa démarche picturale. Sur les cimaises du Violon Bleu, ses volutes monochrome, ses danses mystiques dont elle fige le mouvement en un instant suspendu, en un envol retenu, créent une étrange addiction. On passe d'une arabesque à l'autre, d'une vague brisée à une coulée interrompue, d'un enroulement de flamme rouge à une spirale noire sans fin. On nous parle de soufisme, de calligraphie dans l'inspiration de son geste esthétique. Peut-être. Mais c'est aussi un élan vital puissant que l'on sent jaillir, et que rien ne semblerait pouvoir contenir s'il reprenait sa liberté, si ce n'est l'extraordinaire maîtrise de l'artiste. D'elle, Abdelwaheb Meddeb, séduit, lui qui est si difficile à séduire, écrit : «Vous nous faites, par votre peinture, voyager de l'Anatolie aux bords africains de l'Atlantique, de Konya à Essaouira, de la danse céleste ordonnée au chaos de l'océan. Et c'est le blanc qui se retrouve et dans la robe du soufi gonflant au pas tournant du danseur, et dans l'écume apparaissant où la vague se casse, se brise. Tout en sachant que le blanc immaculé de la robe comme le blanc de l'écume éclairent la nuit sans lune». Il suffit de traverser la placette pour se soustraire à l'étrange fascination des œuvres de Najia Mehadji, et pour entrer dans un autre univers. La galerie Selma Feriani, caisson de lumière au sol de béton ciré, toute de transparences, reçoit la plus classique des expositions, dont elle démontre qu'elle est aussi la plus moderne. «Portraits Redux» pose la question du portrait, et de la résurgence d'un genre traditionnel. Il ne s'agit pas, bien sûr, de faire du portrait académique, mais d'explorer les modalités de son actualisation à travers une sélection originale de portraits et d'autoportraits modernes et contemporains, déclinés en différents médiums : peinture, dessin, sculpture, photos, céramiques. Une vingtaine d'artistes d'origines et de techniques différentes proposent leur interprétation du portrait. Sachant que l'intitulé de l'exposition, «Portrait Redux», renvoie au caractère résurgent et intemporel du portrait. Sur les cimaises de Selma Feriani, et sans aucun ordre imposé, on rencontre des noms prestigieux comme Cocteau et Bernard Buffet, Abdelaziz Gorgi et Hatim El Mekki, Marie Laurencin et Mimo Rotella. Ils côtoient les jeunes espoirs comme Ymen Berrhouma et Yasmine Ben Khelil, qui ont choisi l'une la céramique, l'autre la photo remastérisée pour s'exprimer. Ces mêmes cimaises accueillent des artistes venus de loin comme le Malien Malik Sidibé, l'Iranien Farhad Arharnia, le Pakistanais Ali Kazim et le Libanais Zied Antar. Les portraits, académiques ou revisités, réels ou fictifs, stylisés ou déformés, dénotent tous une volonté esthétique de se confronter avec le réel, de le plier ou de s'y plier, en un mot de le faire vivre et de le vivre.