Elle n'a pas provoqué le ras-de-marée habituel (tant mieux) où ses fans et les vrais mélomanes étaient submergés par l'inévitable public cherchant juste le défoulement et le déhanchement, mais elle a quand même fait pratiquement le plein à Carthage, avant-hier, et elle a pu donner son concert dans de très bonnes conditions, grâce à la bonne écoute, la discipline et l'adhésion maîtrisée de la majorité des spectateurs. Majda Erroumi l'avait prédit en clamant au début de sa prestation, qu'elle vivait un moment à nul autre pareil, rappelant son attachement à la Tunisie et aux Tunisiens, ainsi que son idylle avec Carthage, commencée en 1980. Une longue histoire d'amour, sans anicroche, sans rides. Des rides, Majda n'en a pas pris non plus. Toujours aussi rayonnante, aussi attachante, elle est restée proche de cette toute jeune fille qui a fait sensation il y a 30 ans, la première fois qu'elle est montée sur la scène de l'amphithéâtre. Certes, on l'a sentie plus mûre, plus expérimentée, plus sûre d'elle-même, peut-être, mais elle a su rester légère comme un papillon, fraîche comme une rose en éclosion, un matin printanier, et gracieuse comme une princesse, un soir de bal. En tenue (robe-cape) rose-noire, avec de discrets fils dorés, notre cantatrice s'est avancée à 22h00 et quelques minutes, vers l'avant de la scène pour entonner son fameux morceau Asslama ya Tounès, avec la sincérité qu'on lui connaît et l'émotion qu'on décèle et dont nous avons été témoin, quand elle aborde, sous d'autres cieux, son rapport à la Tunisie. Ce qui est loin d'être le cas d'autres artistes qui nous dédient des chansons dont ils changent le nom du destinataire, selon le pays qu'ils visitent. Pour en revenir au spectacle lui-même, disons que Majda y a présenté un savant mélange entre son ancien répertoire et ses nouveaux airs, entre classique et moderne, entre tarab oriental pur et ambiance orchestrale occidentale tendant à l'universel. Affirmer qu'elle a chanté juste, dans la sobriété et la rigueur ou nous étaler sur ses possibilités vocales et sur son timbre si beau et si distinctif, serait du pléonasme. Mais on peut s'aventurer et avancer qu'elle était tellement vraie et transparente dans son interprétation que certaines paroles de ses chansons paraissaient exprimer son propre état de femme quelque part meurtrie et que la vie n'a pas toujours gâtée. Seulement, cette souffrance qu'on a décelée chez elle, semble avoir aiguisé sa sensibilité et forgé davantage sa personnalité. D'où son assurance, sa tenue fière, mais point hautaine, et surtout son don naturel à communiquer l'émotion. C'est certainement là l'une des raisons qui ont fait qu'en 30 ans, Majda Erroumi occupe toujours une place privilégiée dans le cœur de ses fans. En tout cas, le concert de vendredi dernier a été une pure délectation, la cantatrice ayant démontré sa capacité à se renouveler, à colorier sans cesse son répertoire et à surprendre son auditoire. Avant-hier, elle l'a fait en nous réservant pour la fin trois morceaux-références du cru tunisien : Ya khélila de Saliha, Lamouni illi gharou menni et Samra ya samra de Hédi Jouini. Merci l'artiste. Vous serez toujours la bienvenue parmi nous.