Par Khaled TEBOURBI Mauvaise passe, peut-être, mais nous en perdons des amis, artistes et collègues, par les temps qui courent. La «pire série » depuis des lustres. Ajoutons-y le terrorisme, les prix qui flambent, les élections qui démarrent dans l'inconnu, le folklore, inouï, des candidats, les tonnes et tonnes d'ordures qui ne bougent toujours pas d'où elles sont, et puis, évidemment, «la proximité» (Dieu nous préserve) éventuelle d'Ebola : si nous passons ce «cap», l'histoire nous retiendra sûrement une succession inédite d'exploits. «L'hécatombe» qui s'abat sur la gent artistique reste, quand même, bien plus difficile à endurer. Et elle se «digère d'autant plus mal, observe-t-on, qu'il n'y a pas eu égalité de traitements». On «déplore» le cas de Majid Lakhal, longtemps souffrant, dans l'indifférence générale, mort presque à l'abandon. Et l'on ne sait quoi dire, encore, du «quasi»-silence qui a suivi le décès tragique et subit de Hédi Naïli dont on vient, à peine, de décider la célébration officielle du «quarantième jour». Mais il n'y a pas que les deuils et les disparitions «inégalement» traités, il y a les autres : ceux qui connaissent les pires épreuves, mais qui «n'agitent pas drapeau», les acteurs au chômage, les peintres à l'arrêt, les chanteurs «écrasés» par le Marché de la chanson, les artistes atteints par la vieillesse ou la maladie, etc. On en côtoie des dizaines, au quotidien, sans aide, sans accompagnement, sans appels ni rappels, eux aussi iront vers le pire si personne n'en a écho. Reste, quand même, un «fond d'embarras». Pour parler franc, nos doléances en faveur des artistes «laissés pour compte» dévoilent, à chaque fois, une «vieille mentalité d'assistés». Le monde des Arts et de la Culture en Tunisie est connu : il a été toujours dépendant de l'aide publique, et il ne renonce presque jamais à son statut de «protégé de l'Etat». Cela signifie, certes, qu'il est conscient de ses Droits, mais cela peut aussi dire qu'il ne se soucie pas, forcément, de ses Devoirs. Un ami comédien a lâché tout son fiel, l'autre jour, contre le ministre et le ministère, «que font-ils et qu'ont-ils fait de bon?», s'est-il écrié. On n'a pas douté, un instant, de la sincérité de son «réquisitoire», mais on brûlait d'envie de lui demander des comptes. Qu'a-t-il fait de bon et d'utile, à son tour? A sa propre carrière, à l'Art, en général, ou au théâtre, en particulier? Qui côtoie de longue date les milieux de la culture sait, parfaitement, que nul n'apportera, jamais, réponse à ce genre de question. Nos artistes ne savent, à vrai dire, que réclamer, dur comme fer, ce qui leur est dû; aujourd'hui encore, en pleine révolution, ils n'ont, toujours pas, la moindre disponibilité pour ce que leur pays leur doit! En termes de labeur, en termes de création et d'innovation, en termes de transmission, en termes d'initiative personnelle, en termes de présence sur le marché, cherchez bien autour de vous, ne vous fiez ni aux «remontrances» ni aux «tollés», vous ne trouverez que des profils rarissimes, n'y répondant qu'en partie : que de véritables «exceptions». Assistanat : c'est l'unique moteur de notre machine culturelle, voire, quand on y regarde bien, c'est la «dynamo» de la presque totalité d'une population. Il suffit, pour s'en convaincre d'écouter le discours politique durant cette campagne électorale. Ce discours va dans un seul sens : à quoi s'engager au profit des Tunisiens, mais ne jamais rien leur demander en retour! Nos politiciens savent parfaitement à qui ils ont affaire, ils promettent et c'est tout, ils n'invitent pas l'électeur «à y mettre du sien». Aider à la propreté des villes par exemple, respecter l'Etat et se conformer à l'autorité de la loi ou, plus simplement encore, veiller à l'éducation de leurs enfants, etc. Le faire équivaut, semble-t-il, à choquer des électeurs et à perdre irrémédiablement des voix! Au final, art, culture, ou quoi que ce soit d'autre, c'est «un mal» contre lequel nous ne pouvons rien pour le moment. Trop ancré encore en nous. Le paternalisme de Bourguiba y a sûrement contribué. Le régime totalitaire de Ben Ali ne pouvait que l'aggraver. La révolution «non encadrée » (confisquée) n'a ni les moyens ni l'intention de le guérir. Attendons, il n'y a toujours pas mieux.