Par Abdelhamid GMATI Les Tunisiens sont-ils aussi naïfs que certains candidats à la présidentielle semblent le croire ? La campagne électorale qui bat son plein nous offre un florilège de comportements, de déclarations, de discours destinés à séduire un électorat supposé crédule. Dans l'ensemble, le populisme est de mise. C'est en général amusant mais c'est parfois questionnable, voire condamnable. On relèvera, d'abord, cette différence de comportements et de discours chez les candidats : lorsqu'ils se produisent en solo sur la chaîne Watanya 1, ils sont costumés, cravatés, mesurant leurs paroles, s'efforçant de donner une image de responsabilité, de respectabilité, paraissant dignes de la fonction qu'ils briguent ; c'est évident que tout est réfléchi, étudié, répété, mis en scène. Mais sur le terrain, dans les localités qu'ils visitent, au milieu des foules plus ou moins nombreuses, c'est une autre image, c'est à celui qui sera le plus populiste. Là, ils se laissent aller à leurs pulsions révélatrices de leur réalité. Et ils ont recours à toutes sortes d'arguments pour s'attirer la sympathie de leurs auditeurs. Passons sur cette tendance à vouloir coûte que coûte discréditer l'adversaire, particulièrement celui dont le parti a obtenu une majorité aux législatives. Là, généralement, l'insulte, les accusations, les rumeurs finissent par discréditer leur auteur. Il y en a même qui renient leurs dires ou se désolidarisent des actions de leurs partisans. Passons aussi sur ce souci de jouer les victimes allant jusqu'à s'inventer un passé de militant persécuté. Passons aussi sur ces promesses farfelues et irréalisables que même les plus naïfs ne pourraient croire. Mais retenons certains discours dont les implications, inconsidérées, peuvent avoir des répercussions néfastes. Se disant farouchement engagés à combattre la dictature et le retour de l'ancien régime, ils se lancent dans une compétition de nombrilisme, d'égocentrisme. Chacun affirme être celui qu'il faut, seul garant de la réussite du pays, seul capable de résoudre les problèmes des Tunisiens. Il y en a même un qui martèle être « le sauveur de la Tunisie ». N'est-ce pas ce que nous avons vécu avec les précédents présidents, y compris avec le provisoire ? Recherchent-ils la restauration du culte de la personnalité ? C'est étonnant que des candidats à une fonction qui a la responsabilité de veiller à l'unité des Tunisiens se lancent dans la logique du « eux » et « nous ». Outre les termes de « mécréants », « laïcs », « taghout », « résidus de l'ancien régime », etc, lancés à la face des adversaires, on s'est lancé dans le régionalisme. Et puis, dans la même foulée, on s'intéresse exclusivement à une seule classe, celle des pauvres, des « zaoualis ». Plusieurs se targuent d'être « fils du peuple » sous-entendant que leurs adversaires ne le sont pas ; « proches des pauvres », « avocats des pauvres », « redresseurs des torts faits aux pauvres ». Sont-ils conscients de ce qu'ils disent ? Veulent-ils instaurer une lutte des classes qui n'a jamais eu lieu dans notre pays ? N'y a-t-il que des pauvres en Tunisie ? Aux dernières statistiques, il y avait 25% de pauvres. C'est beaucoup, mais cela ne constitue pas la majorité de la population. Et les riches ? Faut-il les vouer aux gémonies et leur faire la guerre ? Va-t-on crier « sus aux riches » ? Au lendemain de la Révolution, des travailleurs ont multiplié les grèves, les revendications et s'en étaient pris à leurs chefs d'entreprise, allant jusqu'à saccager leurs entreprises. Et ces riches ? Ne sont-ils pas aussi « fils du peuple » et n'ont-ils pas aussi des problèmes ? La plupart d'entre eux étaient pauvres à l'origine mais ils ont étudié et travaillé dur pour améliorer leur situation et réussir. Et puis ce sont eux qui, avec leurs entreprises, créent les richesses et les emplois. Lorsque le gouvernement (tous les gouvernements passés et futurs) veulent stimuler les investissements, n'est-ce pas à ces « riches » qu'ils s'adressent et qu'ils sollicitent pour booster la croissance, la richesse et la création d'emplois ? Et puis cette classe moyenne (fonctionnaires, employés, travailleurs dans tous les domaines), la plus importante, qui n'est ni riche, ni pauvre, et qui, elle aussi, contribue à la richesse, y pensent-ils ces candidats à être « président de tous les Tunisiens » ? Autre danger que distillent ces discours : celui de l'irresponsabilité, de la résignation, de l'attentisme, de la démission. C'est le discours tenu par l'ancien dictateur qui se présentait comme garant de tout, aux citoyens d'obéir et d'attendre qu'on leur procure tous leurs besoins. La situation de l'Etat-providence. « Ne faites rien, l'Etat vous livrera tout ce que vous voulez chez vous ». N'est-ce pas ce discours qui aboutit au culte de la personnalité et à la dictature ? Avec la Révolution, les Tunisiens veulent une Tunisie nouvelle. Une Tunisie où tous les citoyens sont unis. Une Tunisie qui se base sur le travail, l'effort, la participation et la responsabilité. Les candidats devraient y réfléchir et y travailler. Car les Tunisiens sont pacifistes, modérés, mais nullement naïfs.