Drogue, alcoolisme, prostitution, homosexualité, conversions...Pendant deux jours, les 21 et 22 novembre, des chercheurs en sciences sociales et humaines tunisiens, algériens, marocains et français feront le tour lors d'un colloque sur les transgressions des divers tabous qui assaillent les sociétés nord-africaines. Les anthropologues, politologues, sociologues et historiens de l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Irmc), de l'Université Paris-Descartes et du Centre Jacques-Berque (Rabat) décrypteront vendredi et samedi prochains la «norme» et son contraire dans des contextes sociopolitiques assez proches, marqués tous par le sceau de l'«individuation» sous l'impact de la modernité. Et de droits politiques fraîchement acquis, notamment avec la dynamique de la révolution tunisienne de janvier 2011. Ce contexte permet aujourd'hui d'aborder le thème du colloque, hier encore frappé d'interdit, sur les formes de marginalités au Maghreb. Des pratiques périphériques allant de la conversion au christianisme, au quotidien des homosexuels, à la prostitution clandestine, à la consommation du cannabis... « Ces logiques apparaissent aujourd'hui à la faveur de la liberté d'expression et de la liberté politique qui laissent émerger à fleur de société des réalités souterraines, invisibles. Une révolution induit forcément une liberté individuelle : croire ou ne pas croire, voter ou ne pas voter », explique Karima Dirèche, la directrice de l'Irmc. Mais dans ces sociétés prises en sandwich entre un conservatisme profond et des revendications d'affirmation de soi qui s'expriment de plus en plus sur la place publique (Amina de Femen, les deux jeunes caricaturistes du Prophète de Mahdia, le mouvement des déjeuneurs du Maroc, les convertis au christianisme en Algérie...), il n'y a pas de transgression sans lois. Qu'elles soient politiques, sociales, religieuses ou juridiques. Le colloque s'interroge également sur ce que les Etats font de ces transgressions : répriment-ils ou entraînent-ils de force ces groupes en rupture avec la norme vers le centre ? « Car si les transgressions dérangent, c'est justement parce qu'elles bousculent un ordre établi, la manière dont une société s'autorégule. Ces groupes bousculent les représentations globalisantes et uniformisantes d'une société et d'un Etat», affirme Monia Lachheb, sociologue et coordinatrice du colloque. Etre homosexuel par exemple dans une société maghrébine remet en question un modèle socioculturel construit sur la famille, le couple, la procréation, le patriarcat. Se convertir à une autre religion secoue d'autres fondamentaux, tels le nationalisme et l'unité nationale autour d'un Etat se référant dans sa Constitution à l'Islam. Le colloque, qui se déroulera dans un hôtel à Sidi Bou Saïd, traitera également de « l'art et de la transgression», à travers les expressions corporelles, la poésie subversive, la raillerie. « Faire l'anthropologie des transgressions permet de comprendre la société maghrébine dans sa globalité, dans ses transformations, mutations, et nouvelles affirmations. Mais également dans ses crispations et autres formes d'inertie», ajoute Karima Dirèche.