Hammamet crée encore une fois l'évènement en programmant des premières de pièces tunisiennes. Et, avant-hier soir, Kasr Echouk a fait se déplacer un large public «de professionnels» venu nombreux soutenir Noômen Hamda, dans sa deuxième expérience de mise en scène. Et pour cause. Ceux qui affirment que, quand on touche le fond, quand on est secoué par les épreuves de la vie, quand on frôle la mort, quand on a failli y laisser sa peau, c'est en ces moments que la vie prend tout son sens, ceux-là n'ont pas tort. Et Noômen (il y a quelque temps ) en a fait l'expérience. Et de cette confrontation avec le néant est né Kasr Echouk Le lieu, c'est un hôpital… Une soirée qui sépare une année d'une autre. La soirée du nouvel an dans un hôpital encombré de beaucoup de cas d'urgence… Quelque part, à l'intérieur de l'hôpital… un patient gît depuis treize mois…. Un cas de coma profond… Est-il encore là ou ailleurs? Tient-il à la vie ou son départ est-il imminent ? Noomen Hamda semble nous dire que le désir de vie n'est pas une donne scientifiquement constatable, que même dans un coma profond ou ce qu'on appelle la mort clinique, et même si en apparence on ne tient plus à la vie que par un fil à une machine qui se substitue à nos réflexes vitaux, qui respire à notre place, qui fait battre le cœur et qui éveille le cerveau, la vie tient à autre chose… Elle tient aux sons que nous écoutons, à notre forte envie de savoir quel jour de la semaine nous sommes, à nous remémorer un souvenir enfoui…à ne pas nous laisser sombrer dans le gouffre de l'amnésie, cet espace qu'on nous montre dans les films, inondé de lumière blanche…le tunnel… l'au-delà. Dans une scénographie épurée, sans excès ni fioriture, Noômen Hamda nous installe dans un milieu hospitalier aseptisé, comme s'il voulait nous faire partager son expérience, mais de l'autre côté du rideau. Expérience de celui qui entend tout et ne peut réagir, celui qui, pour s'accrocher à la réalité, saisit les détails du quotidien (un réel exercice mental) afin de voir chez les autres la même perdition de l'âme. Lui, relié à une machine qui le maintient en vie mais qui guette chaque instant de relâchement pour qu'elle prenne le «total control». Eux (le personnel hospitalier) qui, à force de côtoyer la mort, en oublient leur propre vie. La voix off du comateux (celle de Noômen) et son corps perdu dans les couloirs de l'hôpital (Nouredine Bouselmi) viennent ponctuer la détresse des autres personnages, une infirmière qui défend ses droits de vie… et ses droits à elle d'exister…un médecin tenant à sa vie professionnelle jusqu'à la perte… un infirmier cherchant à s'exprimer jusqu'à l'étouffement… et une visiteuse à la recherche de sa sœur jumelle… d'une partie du passé qui ne reviendra jamais… Des personnages déchirés poursuivant leurs moitiés perdus… introuvables… Pour une fois, l'utilisation à outrance de la musique de Leonard Cohen ne gênait nullement le rythme de la pièce, bien au contraire, elle épousait comme un gant l'univers de ce travail. Kasr Echouk est en fait un acte d'exorcisme, une manière de « catharsiser» des événements traumatisant mais, au-delà de cette réflexion – témoignage, c'est une belle aventure théâtrale et une leçon de vie qui gagnerait en maturité au fil des représentations. Nous saluons la prestation d'Amira Dachraoui — une belle découverte — et revoir Jamila Chihi sur scène est un pur plaisir.