L'Isie confirme officiellement l'accession de Béji Caïd Essebsi au palais de Carthage. Place maintenant à la formation du prochain gouvernement où le meilleur scénario est que tout le monde y participe. Restent les 44% des voix de Marzouki que tous veulent récupérer à tout prix Maintenant que les dés sont définitivement jetés et que Chafik Sarsar, président de l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie), a confirmé, hier, officiellement, les résultats révélés dimanche soir par les instituts de sondage d'opinion ayant donné Béji Caïd Essebsi vainqueur de l'élection présidentielle, l'opinion publique se demande ce que va faire Nida Tounès pour former le prochain gouvernement, comment se comportera l'opposition se proclamant démocrate (le Front populaire) à l'égard des 44% des électeurs ayant voté pour Marzouki, quelle stratégie adoptera Ennahdha pour récupérer son électorat indiscipliné qui a choisi Marzouki et est-ce que le président sortant va respecter son engagement de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle et dans ce cas le parti des mécontents qu'il pourrait créer deviendrait-il une pure chimère ? Les leaders de partis politiques (vainqueurs ou vaincus) ayant tout dit ou presque, dimanche 21 décembre, sur les plateaux TV dont certains talk-shows se sont poursuivis jusqu'aux premières heures de la journée d'hier, La Presse a préféré sonder la réaction et la lecture d'un analyste politique, Naceur Héni, et d'un constituant sortant et candidat malheureux à la députation (dans la circonscription de Zaghouan) au nom du Front populaire, Naceur Brahmi. Un score à décortiquer Naceur Brahmi, membre du Front populaire et constituant sortant, estime qu'«au-delà de la victoire de Béji Caïd Essebsi, somme toute attendue, la grande nouveauté de l'élection présidentielle consiste en ces 44% des voix recueillies par Marzouki. C'est un score important qu'il faudrait décortiquer calmement en vue d'en tirer les significations. D'abord, ce score est inattendu au vu des gaffes et des bourdes que Marzouki a commises durant sa période présidentielle placée sous la médiocrité totale. Ensuite, il faut reconnaître qu'il est aujourd'hui la deuxième personnalité politique nationale dans le pays. Ce qui est à craindre sérieusement c'est qu'il devienne le chef de tous les antidémocrates dont une grande partie est à dénicher auprès d'Ennahdha où les mécontents des positions de Ghannouchi ont désobéi aux ordres et ont choisi de se ranger derrière Marzouki. Enfin, l'opposition démocrate, dont le chef de file est bien le Front populaire, se trouve aujourd'hui face à deux adversaires: Nida Tounès et Moncef Marzouki, et le parti qu'il finira par constituer et que je n'hésite pas à qualifier, dès à présent, de fasciste». La nouvelle donne obligera-t-elle le Front populaire à revoir sa stratégie d'action et ses positions, notamment ses rapports avec son électorat, surtout que les statistiques ont montré que 25 % de ce même électorat ont voté, dimanche 21 décembre, pour Marzouki ? «Oui, reconnaît Naceur Brahim, dans notre base, il existe des gens qui ressentent une haine viscérale à l'égard de l'ancien régime. Nous avons l'obligation de prendre conscience de la nécessité absolue d'opérer une restructuration radicale du Front pour passer de la structuration fédérale avec 9 partis et 9 leaders vers la création d'un grand parti de gauche unifié. Notre expérience est encore jeune et nous sommes appelés à la faire mûrir. Tout dépendra de l'évaluation de l'opération électorale législative et présidentielle que le Front populaire vient de vivre. Toutefois, je reste convaincu que notre place est dans l'opposition, mais cela ne nous empêchera pas de saluer les mesures que prendra le prochain gouvernement au cas où elles correspondraient à nos orientations». Les conditions de la réussite Naceur Héni, analyste politique, pense que les 44% des voix remportées par Marzouki appellent Béji Caïd Essebsi à accorder une importance particulière à cet électorat et à leur envoyer des messages rassurants pour dissiper leurs craintes. «Le patron de Nida Tounès, et désormais président de tous les Tunisiens, doit donner la priorité aux trois dossiers suivants : la préservation de la démocratie et des libertés, l'ouverture de la participation à la gestion du pays au plus grand nombre possible de compétences nationales appartenant à toutes les sensibilités politiques et l'accession des jeunes aux postes clés dans l'administration pour éradiquer l'idée selon laquelle les postes de responsabilité sont l'apanage des vieux», souligne-t-il. Quant aux 44% des électeurs qui ont voté pour Marzouki, Naceur Héni est convaincu qu'il y a «15 à 20% parmi ces électeurs que beaucoup d'hommes politiques peuvent instrumentaliser. Il n'y a pas uniquement Marzouki qui deviendra leur porte-parole». «Pour moi, l'enjeu se trouve auprès des 40% des électeurs qui n'ont pas pris part au vote, non pas parce qu'ils rejettent les élections mais parce qu'ils refusent les deux candidats à la présidence», commente-t-il. Le meilleur scénario pour Nida Tounès En vue de la formation du prochain gouvernement, quels sont les choix offerts à Nida Tounès pour proposer aux Tunisiens une équipe gouvernementale qui répondrait à leurs attentes ? «Il n'existe pas beaucoup de choix. Nida Tounès peut opter pour un gouvernement de technocrates ou un gouvernement d'union nationale. Et le meilleur scénario pour le parti d'Essebsi est qu'il fasse participer tout le monde au gouvernement pour ne pas subir à lui seul les échecs prévisibles au vu de la délicatesse des dossiers à trancher. Et dans tous les cas, le prochain gouvernement n'aura les mains libres qu'à condition qu'il soit soutenu par 120 à 130 députés au Parlement et que ces députés fassent montre de discipline et de présence régulière au Parlement, surtout quand il y a des lois importantes à voter. Reste que cette majorité n'est possible que si Ennahdha y adhère. A ce moment-là, il est possible que l'action gouvernementale réussisse sous le sceau du consensus. Aussi l'opposition, et principalement Ennahdha, perdra-t-elle toute possibilité de gagner les prochaines élections», conclut-il.