Dans l'euphorie de la victoire, les nidaistes répètent partout qu'ils ne s'allieront jamais avec Ennahdha. Maintenant que les carottes sont cuites et au moment où Chafik Sarsar continue à faire les comptes, laissant perdurer le suspense sur les résultats définitifs des législatives, les Tunisiens sont passés à l'essentiel et se demandent comment Béji Caïd Essebsi va faire pour former le prochain gouvernement. Et les scénarios de pulluler. Le meilleur parmi ces scénarios serait une coalition Nida Tounès-Ennahdha qui garantirait un gouvernement stable durant les cinq prochaines années à condition que les deux cheikhs de Montplaisir et des Berges du Lac dépassent leurs rivalités de leadership et fassent oublier les querelles de clocher qui ont accompagné la campagne électorale. Un deuxième scénario : Nida Tounès, le parti qui a gagné le plus grand nombre de sièges au Parlement (et non la majorité comme le laissent entendre certains), se tournerait vers le bloc des partis démocratiques qui n'ont récolté malheureusement que des miettes. Ce dernier scénario mettrait le prochain gouvernement sous la menace quotidienne du tiers bloquant détenu par Ennahdha, ce qui pourrait faire tomber le prochain gouvernement à tout moment puisqu'il ne disposerait pas d'une majorité large qui lui permettrait de faire voter les lois dont il a besoin. Aucune discussion avant la présidentielle En plus clair et plus simple, Béji Caïd Essebsi sera-t-il dans l'obligation d'oublier ses déclarations selon lesquelles Nida Tounès et Ennahdha sont deux lignes parallèles qui ne se rencontreront jamais et optera-t-il pour un mariage de raison, intérêt national et stabilité obligent ? Du côté de Nida Tounès, un mot d'ordre général auquel tous les nidaistes sont astreints: «Pour le moment, aucune alliance avec Ennahdha ne peut être envisagée. Nous attendons les résultats de l'élection présidentielle pour choisir le ou les partis avec lesquels nous allons coaliser. Et en tout état de cause, nous allions nous allier avec nos partenaires du Front du salut», souligne Néji Jalloul, membre de la direction de Nida Tounès. Un discours développé pour rassurer la base du parti puisque les indiscrétions glanées au compte-gouttes dans les alentours des Berges du Lac montrent que les nidaistes sont convaincus qu'«il faut éviter à tout prix le tiers bloquant d'Ennahdha». Certaines sources parlant sous le couvert de l'anonymat précisent: «Un gouvernement d'union nationale est une priorité absolue. Et ce gouvernement, nous devons le former avec les partis que nous appelons les partis de la construction, dont en premier lieu Ennahdha et Afek Tounès». Si El Béji entre le marteau et l'enclume L'analyste politique Naceur Heni aborde la problématique sous plusieurs angles. «Au regard des résultats du 26 octobre, Nida Tounès se trouve actuellement entre le marteau et l'enclume pour former son gouvernement avant les résultats de la présidentielle», fait-il remarquer. Il ajoute : «Néanmoins, Nida Tounès peut commencer dès à présent à négocier. Sauf que l'élection présidentielle peut constituer un obstacle à ces négociations, surtout pour ce qui est de l'Union patriotique libre et du Front populaire qui ont chacun son candidat au palais de Carthage. Au cas où il déciderait de tourner le dos à ces deux formations, il se trouvera contraint de parlementer avec cinq ou six autres parties (Afek Tounès, les Destouriens, le Courant démocratique et les indépendants) en vue d'obtenir le minimum requis, soit 109 sièges, ce qui formera une majorité fragile risquant de tomber à tout moment et de se trouver l'otage des caprices de ces petites formations. Et même si Nida Tounès arrive à contenter ces petites formations, il sera obligé de leur céder plusieurs portefeuilles ministériels (ce qui représenterait 35 à 40% de la prochaine équipe gouvernementale). Dans ce cas, on aura une équipe ministérielle élargie, avec des dépenses supplémentaires et des ministres manquant d'expérience auxquels il faudra beaucoup de temps pour apprendre le métier. Plus encore, Nida Tounès se verra contraint de restructurer certains ministères pour satisfaire les prétendants, une restructuration qui nécessite au moins six mois alors que les Tunisiens attendent du concret. Ce sont là des données objectives qui feront que les négociations de Si El Béji avec ces parties seront difficiles au point d'être impossibles». Que faire alors du moment que les Tunisiens qui ont accordé leur confiance à Essebsi veulent qu'il ne reproduise pas les erreurs du gouvernement de la Troïka ? «Le scénario le plus plausible ou le choix de la raison, c'est qu'il se tourne vers Ennahdha dont les conditions pourraient être plus souples. Le parti de Montplaisir pourrait demander que certains ministères soient dirigés par des personnalités neutres ou avoir certaines assurances. Dans ce cas, le prochain gouvernement pourrait commencer à travailler dès sa constitution. Dans tous les cas de figure, Nida Tounès n'a pas intérêt à diriger un gouvernement avec des ministres inexpérimentés qui lui feront perdre du temps. Et s'il y a un enseignement que Nida Tounès doit tirer de son appel au vote utile, c'est que le vote utile fait de lui le premier parti du pays, mais un parti sans alliés», relève Naceur Héni. Le Front populaire dicte ses conditions «Au Front populaire, on est convaincu qu'il est une vérité que nul ne peut contester. Les élections du 26 octobre ont dégagé une majorité moderniste (Nida, Afek, Front populaire, Moubadara, UPL) qui œuvrera à renforcer le respect de la Constitution. Pour nous, c'est un vote qui a mis fin à trois ans de gabegie économique et sociale. Néanmoins, il faut constater que cette majorité se recoupe avec un raz-de-marée bleu (couleur des libéraux) conservateur. Croyant aux valeurs libérales et aux bienfaits du marché, seul régulateur du système. Et si on fait les comptes, on peut avoir jusqu'à 150 députés appartenant à la famille de l'économie libérale», analyse Riadh Ben Fadhl, directeur de la campagne électorale du Front. Il ajoute : «Nous sommes disposés à travailler avec ceux qui prendront en considération les éléments les plus importants de notre programme, le programme sur la base duquel beaucoup de Tunisiens nous ont accordé leur confiance. Mais sur le principe d'une grande coalition à l'allemande (Nida, Ennahdha), le Front populaire ne sera pas de la partie».