Le cinéaste d'origine péruvienne, Jorge Reyes, est l'auteur de plus d'une trentaine de films entre documentaires et fictions. Il était parmi nous pour faire des repérages pour son dernier film. Entretien. Quels sont vos projets en Tunisie? Je suis ici pour faire des repérages pour mon prochain film. C'est une histoire que j'ai toujours eue dans ma tête. Une histoire qui m'a toujours interloqué... Le film va raconter l'histoire de la vigne en Tunisie. C'est l'histoire d'un homme qui a fait une tentative de suicide dans le métro de Belleville et qui a perdu la mémoire tout de suite après. Ce n'est que plus tard qu'on découvre qu'il a des racines tunisiennes. C'est une histoire de racines et d'identité... Je suis toujours en train de chercher le chemin vers mon identité... Vous savez, les Latino-Américains ont ce point commun avec vous: l'attachement à nos racines compte énormément. Même si je vis aujourd'hui en France, je reste profondément latino-américain. Vous aviez un projet avec Omar Sharif sur la question de l'identité des Incas... Effectivement, mais le jour où on allait signer le contrat, Omar Sharif, en toute honnêteté, m'a dit : «Je ne peux pas jouer ce rôle car je ne suis pas de l'Amérique latine, et en cherchant en moi le personnage inca, je n'ai trouvé que mes pharaons!». C'était d'un grand professionnalisme ! Je n'ai pas donné suite à ce projet jusqu'à nos jours. Pour moi, le premier rôle dans ce genre de film est très important. Je suis très exigeant sur certaines choses. Par exemple, je suis aujourd'hui en Tunisie à la recherche de la vraie atmosphère de ces vignes et de ces terres traversées par le soleil méditerranéen. Les révolutions et la politique constituent la trame de presque tous vos films. C'est votre thème de prédilection ou c'est une obsession ? Non, c'est une spécificité de notre cinéma. Chaque cinéaste latino-américain, quand il fait un film, il fait un film politique sans le savoir ! On ne veut pas être dépendant d'un autre pays, on a horreur de la colonisation quelle que soit sa nature. C'est du militantisme ? Pas forcément ! Je crois que de nos jours l'esprit militant est en train de tirer sa révérence. J ‘ai des amis socialistes révolutionnaires italiens que j'ai rencontrés récemment, et l'un d'eux m'a dit «les camarades n'existent plus». A mon avis, le concept de militantisme tel qu'on le connaît est fini. Il faudrait sans doute le moderniser ! Parlez-nous du cinéma latino-américain d'aujourd'hui... Je suis le représentant de la génération qui a commencé à faire du cinéma entre 1960 et 1970. Je suis peut-être le dernier de cette génération d'ailleurs. Sur le plan technique déjà, je fais partie de la génération «pellicule» et les nouvelles générations font partie du cinéma numérique... Alors, je tiens à faire, d'abord, la distinction entre cinéastes et vidéastes... Le cinéma latino-américain (brésilien, argentin, mexicain essentiellement et cubain) a été un cinéma révolutionnaire. C'est-à-dire que notre cinéma a toujours été engagé politiquement. Je ne veux pas être pamphlétaire et dire que c'était sous le signe de la gauche politique mais pour moi, c'est sous le signe de l'identité. Je pense que notre plus grande fierté en Amérique latine c'est notre identité et notre appartenance à notre terre. C'est ce qui caractérise nos productions jusqu'à nos jours. Cela dit, l'autre problème de notre cinéma reste celui de la distribution malgré la qualité irréprochable de nos films. Comme vous le savez, il y a la mainmise des «monstres» de la distribution qui empêchent ces films d'être vus et de faire carrière. Vous êtes donc un nostalgique du 35 mm ? Je ne prends pas ça de manière très «romantique»... Moi-même, je suis en train de me mettre au numérique... Mais je déplore la réduction du nombre de salles de cinéma dans beaucoup de pays et particulièrement celles qui projettent du 35 mm. Le numérique est né pour enrichir l'image, pas pour éliminer le cinéma. Maintenant, le problème est celui de la conservation. Les négatifs des films de Meliès, ou des films cultes des grands réalisateurs italiens comme Visconti, Pasolini et j'en passe, résistent au temps... Plus d'un siècle s'il le faut! Pour le numérique on ne sait absolument pas combien il va durer. C'est l'histoire du cinéma qui est en jeu dans le futur. C'est vrai qu'on est en train d'inventer du matériel moins cher et plus rapide pour filmer, mais on est aussi en train de détruire la structure du cinéma.