L'impatience est grande de découvrir le nouvel opus de Ridha Béhi, «Brando et Brando, quand tombent les étoiles» dont le tournage à Oudhna vient de s'achever il y a quelques semaines et pour lequel, notre cinéaste repartira à Los Angeles au mois de juillet prochain, pour le tournage des dernières séquences dans la ville américaine. Après «Soleil des hyènes», «Les anges», «Champagne amer», «Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem» et «La boîte magique», pour ne citer que les longs métrages, le réalisateur nous entraîne dans une nouvelle aventure qui s'est faite dans la douleur, vu les circonstances qui ont entouré la naissance de ce film où fiction et carnet de voyage seront intimement liés. Entretien. Le Temps : La naissance du film serait-elle redevable à une rencontre avec l'acteur américain Marlon Brando ? Ridha Béhi : l'idée m'est venue quand j'ai rencontré pour la première fois le jeune comédien Anis Raâch, (qui a joué notamment dans Bezness de Nouri Bouzid), qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Brando dans « Un tramway nommé désir » de Elia Kazan. Et depuis, j'ai commencé à travailler à partir de cette idée de ressemblance et à l'éventuelle rencontre entre le vrai Brando et le sosie. J'ai pris des photos et écrit des scénarios que j'ai envoyés par le biais de mes agents anglais à Elizabeth Taylor… Il faut dire que je n'étais pas certain que Brando allait répondre. Quelques mois après, on m'appelle pour me dire que l'acteur américain cherchait à me contacter. C'était comme un rêve ; j'étais sur un nuage surtout que Brando n'avait jamais entendu parler de moi. Je me suis immédiatement rendu à Londres où j'ai rencontré ma productrice, Norma Hayman (qui a produit «Liaisons dangereuses» et les trois Harry Potter). Ensuite, je me suis envolé pour los Angeles avec, dans mes valises, une boîte de gâteaux tunisiens et un paquet de chocolats que Norma Hayman m'a recommandé pour Brando. Celui-ci s'est adressé à moi en ces termes : « mon cher Ridha, tu veux faire un film en Amérique ? J'y vois déjà au moins cinq obstacles ! D'abord, tu es Arabe et tu ressembles à un Arabe ; Ensuite, tu parles mal l'anglais ; troisièmement, tu ne connais pas le jazz ; quatrièmement, tu m'as choisi comme acteur, moi, Brando, un vieillard mal en point, le chiffon rouge de l'Amérique bien pensante ! Le cinquième obstacle, c'est le plus difficile : tu n'as pas de lobby juif pour t'épauler ici à Los Angeles ! ». Depuis, après en avoir accepté le principe, tous les jours pendant deux semaines, Brando se mit à proposer de nouvelles scènes, en refuser d'autres et modifier même les dialogues… Enfin, l'idée de faire ce film m'était venue par l'attachement que j'éprouve pour cet acteur qui a payé cher ses positions politiques et son engagement en faveur des Noirs, des Indiens et de la cause palestinienne. Vous avez déclaré que « Brando et Brando…» est un film sur les rapports entre Arabes et Américains surtout après les événements du 11 septembre ; un film sur l'altérité en somme ? J'ai traité dans mes films de nos rapports avec l'Occident. Dans «Champagne amer», j'ai évoqué le problème de l'identité. Dans « Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem », il était question du conflit israélo-palestinien. La problématique de l'Autre par conséquent, m'a toujours préoccupé. Tantôt, on est fasciné par son cinéma, sa musique, sa littérature…et Tantôt, on le rejette. Après le 11 septembre et les guerres d'Afghanistan et d'Irak, j'ai voulu traiter de l'Autre, Américain cette fois. Où en êtes vous actuellement avec le film? Il faut dire que j'ai terminé le tournage de tout le film ! Il me reste par contre, quelques plans d'extérieur à tourner dans la ville de Los Angeles au mois de juillet prochain; des scènes évoquant l'arrestation d'Anis qui part pour faire du cinéma à Hollywood mais qui finit par échouer à Guantanamo. Côté financement, nous en assurons avec Ben Mlouka l'opération, la post-production, puis le tournage des deux jours qui restent à Los Angeles La principale difficulté, c'était la mort brutale de Brando, trois semaines avant le tournage. Les producteurs français, anglais et hollandais qui nous soutenaient au départ, s'étaient définitivement retirés car comme je vous l'ai expliqué, ils étaient intéressés par la star américaine et non pas par Ridha Béhi ! Le scénario a -t- il été modifié après le décès de Brando ? Peut-on dire que le film sera prêt avant la fin de l'année ? Il y a la voix-off du narrateur où je raconte ce qui s'est passé ; comment Brando est décédé et comment le projet a failli tomber dans l'eau. Je pense que le film sera prêt d'ici fin décembre 2010, début janvier 2011. Déjà, les Anglais qui sont intéressés par l'oeuvre, trouvent les images assez intéressantes…Il y a aussi Venise qui semble lui porter de l'intérêt. Quel est votre prochain projet ? Le prochain film portera sur le leader Habib Bourguiba, étudiant à la Sorbonne à Paris, les premières années de sa lutte , les premières années de l'indépendance, sa position vis à vis de la femme, de l'éducation, du conflit au Moyen-Orient… Il est temps de rendre hommage à un grand tunisien et saluer sa mémoire à l'image d'un Gandhi ou Charles de Gaulle… Comme vous savez, Bourguiba a marqué l'Histoire et notre Histoire ! Je suis en train de me documenter, de lire des livres et de rencontrer des gens qui l'ont connu. Raja Farhat va travailler sur le scénario et celui-ci sera prêt, je pense, en 2011. Il sera question dans ce film de Mendès France, Charles de gaulles, Jamel Abdennasser, Wassila Ben Ammar et tout l'univers dans lequel le leader a évolué. Entre temps, on voit que vous n'avez pas chômé ces derniers temps, côté œuvres documentaires ! Effectivement, j'ai réalisé seize documentaires dont quatre portraits de cinéastes algériens : Hamina, Bahloul, Allouache et Bouchareb. Les autres portent sur le cinéma et les cinéastes tunisiens. Par ailleurs, j'ai encadré les étudiants à l'école du cinéma de Gammarth et écrit plein de scénarios. De même je travaille sur un film «Mada , fleur d'Alep» qui sera une production syro-libanaise et réunira des acteurs libanais, syriens et tunisiens. Propos recueillis par Sayda BEN ZINEB