C'est à travers ses déclarations provocantes, ses accusations, ses procès et ses scandales que Mokdad Shili s'est fait surtout connaître ces derniers temps. Un artiste qui affectionne visiblement les “inimitiés” à l'adresse de ses collègues ou, mieux, de nous autres journalistes. A tort ou à raison ? Qui sait ? Mais dans cette nébuleuse, assez médiatisée de surcroît, il y a bien un noyau solide, celui d'un chanteur passionné et attaché à la chanson tunisienne. Après tant d'attente, Mokdad Shili a pu enfin se produire à Carthage à travers un concert baptisé Muzika (musique, en dialecte tunisien). C'était lundi dernier. Il faut dire que, d'une manière générale, Mokdad a passé l'épreuve du Théâtre romain haut la main. A des détails près. Plusieurs figures de la scène artistique et culturelle ont fait le déplacement pour assister au spectacle : Lotfi Bouchnaq, Slah Mosbah, Dorsaf Hamdani, Mounir Argui, Moncef Mezghenni, Ali Ouertani et bien d'autres. Côté gradins, la "désaffection" — partielle — du public n'étonne plus. Mokdad peut quand même se vanter d'avoir attiré plus d'auditoire qu'un Johnny Clegg ou qu'un Mory Kanté. Ce n'est pas peu. Du reste, ce phénomène quasi-général est vraiment à méditer. Le concert : une attaque, sous forme d'un prélude instrumental très rythmé, qui a traîné en longueur. Un zeste confus. Après quoi, Mokdad Shili a fait son entrée avec, tenez-vous bien, deux gardes du corps aux flancs. Une mise en scène assez déplacée à l'image d'un artiste qui donne un peu trop à voir. Avec un orchestre composé de dix musiciens et de six choristes, Mokdad Shili a entamé son récital par Ghroudhat, son tube et honnêtement son morceau de bravoure, pour enchaîner ensuite avec seize autres (n'est-ce pas trop ?) chansons personnelles. Certaines sont bien connues du public comme Teddallel, Zohra, Madhabeyya ou Esmallah alik et d'autres moins, mais qui ont eu quand même un certain écho dans les gradins où claques et déhanchements étaient au rendez-vous. Pas bien loin de l'ambiance "boîte"... Il faut dire que les mélodies légères, très rythmées, plutôt jazzy, qui ne changeaient pas beaucoup d'un titre à un autre, y étaient pour quelque chose. Ni oud, ni qanun, ni violon. C'était un choix ? Etait-ce le meilleur ? Mokdad Shili aura eu, malgré tout, le mérite de présenter un récital de son propre cru et exclusivement en dialecte tunisien. C'est tout à son honneur à un moment où la chanson tunisienne ne l'est plus tout à fait. Impression : les textes sont le point fort des chansons de Mokdad Shili. Il y a du travail sur la langue et des termes sauvés de l'extinction. Exemple de Ayounek : preuve a été donnée que la poésie populaire peut éviter le folklorisme et atteindre des hauteurs certaines. Ce soir-là, à Carthage, nous avons vu un Mokdad Shili décontracté, danseur même, fidèle à son profil, surtout passionné. Accrocheur par son originalité, son interprétation, son entrain plutôt que par la portée de sa voix. Sinon, la projection d'extraits muets de films américains, de concerts de l'artiste, ou de documentaires, sur l'écran géant, était à dire vrai hors de propos. D'autant qu'elle détournait l'attention de la scène, Quelle idée ! Finalement, Muzika de Mokdad Shili ne fut pas un moment d'exception. Ce serait exagéré de le dire. Simplement un spectacle qui se laisse suivre et entendre, par à coups.