Il y a un an, et après des débats houleux et moult bras de fer, la Tunisie se dotait enfin de sa nouvelle loi fondamentale... Des universitaires ont voulu faire le point. L'Association tunisienne de droit constitutionnel a organisé, de jeudi à samedi, les 3es journées Abdelfattah Amor, en hommage à l'éminent constitutionnaliste qui nous a quittés en janvier 2012... Thème retenu : la Constitution de 2014, un an après. C'est jeudi après-midi qu'a eu lieu l'ouverture, marquée par une communication de Yadh Ben Achour, désormais vice-président du Comité des droits de l'Homme des Nations unies. Puis, les interventions devaient se répartir selon quatre sous-thèmes : «Les libertés et les droits fondamentaux», «Les pouvoirs», «Les contre-pouvoirs» et, enfin «Les perspectives». Notons que le président de l'association, M. Farhat Horchani, a été nommé vendredi dernier ministre de la Défense nationale dans le gouvernement de Habib Essid. La nouvelle est tombée dans l'après-midi alors que, dans la salle où se déroulait la rencontre, on parlait du rôle de la société civile. Autre nom inscrit au programme de ces journées, mais qui a dû modifier son emploi du temps : le juriste et ancien doyen de la faculté des Sciences juridiques de Tunis, Mohamed Salah Ben Aïssa, à qui a été attribué le poste de ministre de la Justice... Autant dire que ces journées avaient, sans le savoir, réquisitionné quelques poids lourds de la nouvelle équipe ministérielle. De l'indépendance des associations Pour les curieux qui auraient pu être rebutés par l'aspect technique des débats, la séance du vendredi offrait une entrée en matière intéressante. Le professeur Chawki Gaddes a abordé la question de la société civile... Il a notamment souligné le problème persistant d'une bipolarisation politique des associations en Tunisie, ce qui pose bien sûr la question de leur réelle indépendance... M. Gaddes rappelle dans le même sens quelques chiffres : 6.000 associations créées depuis 2011, parmi lesquelles 2.200 caritatives... C'est-à-dire susceptibles de mobiliser du financement au profit des partis politiques. Voire des organisations illégales. D'où les mesures de la BCT, qui obligent les banques à exercer un rôle de contrôle. «Il n'y a pas de réponse au sujet du problème de la morphologie des associations», souligne l'enseignant... Mais, dans le même temps, on a assisté à une implication active de certaines associations dans le processus de transition, à l'instar de Al Bawsala ou de Mourakiboun... «Le gouvernement doit recourir à la société civile», estime Chawki Gaddes, pour qui les projets de réforme qui émanent de la société civile bénéficient de conditions favorables : une bonne analyse de terrain et la recherche de solutions constructives... Bref, il y a donc une équation à préciser en ce qui concerne le rôle des associations dans leur relation à la sphère politique. Dialogue national, dernier recours Autre chose à préciser : le Dialogue national, au sujet duquel certains ont exprimé le souhait qu'il se prolonge dans la période qui vient pour parer à tout risque d'accaparement du pouvoir. Le professeur Hatem Mrad rappelle dans son intervention qu'il y a des expériences de dialogue national dans d'autres pays arabes. Il en retrace ensuite la naissance et l'évolution en Tunisie. Le Dialogue national, rappelle-t-il, remonte bien avant la crise politique qui suit l'assassinat de Mohamed Brahmi en juillet 2013. Il y a eu une première tentative en 2012 qu'avait engagée l'Ugtt. Puis une autre initiée par Marzouki.... Et si ce dialogue a retardé le processus de transition, dans un autre sens il l'a accéléré... «Le chaos a été évité !», dit-il. Il a également fait comprendre à tous qu'il n'y a pas de transition démocratique sans compromis... Alors, dans ces conditions, pourquoi ne pas avoir constitutionnalisé le Dialogue national ? Parce que, répond-il, il risquerait de se transformer en parlement bis... Le président de séance, M. Ghazi Ghraïri, renchérira : il est temps que l'Ugtt et l'Utica retrouvent les activités syndicales qui sont les leurs... Il reste que ce dialogue demeure toujours une possibilité, en tant qu'outil de régulation de dernier recours. C'est en tout cas le souhait de l'intervenant. Liberté d'expression : encore des inquiétudes Après la société civile et le dialogue national, c'était au tour de la liberté d'expression d'être évoquée. Ce dont s'est acquitté le professeur Larbi Chouikha, qui allait mettre d'abord le doigt sur des points de tension au niveau législatif. L'article 6 de la Constitution continue de susciter des inquiétudes : une porte ouverte à des atteintes aux droits humains au nom de la protection du sacré, affirme le conférencier. Idem pour l'article 226 bis du Code pénal, qui évoque les bonnes mœurs et la morale publique... C'est en raison de ces anciennes dispositions que des journalistes et des blogueurs ont été jugés et emprisonnés, même après les décrets-lois 115 et 116, qui réglementent les médias et la liberté d'expression. La menace vient également de la «pression sociale», à travers la «persistance d'anciens schèmes»... C'est dans cet ordre de choses que s'inscrit la récente décision d'une société de distribution de ne pas mettre en vente des journaux français. Autre considération qui rend inquiet l'intervenant : l'absence de structures de régulation au sein des rédactions ou en dehors d'une part et, d'autre part, la précarité et les conditions matérielles peu enviables de beaucoup de journalistes... Pour Larbi Chouikha, il y a une solidarité entre la bonne santé de la liberté d'expression et l'évolution positive du secteur des médias... Or c'est là qu'il manque une réelle volonté politique d'agir. On ne saurait le contredire !