Il était l'animateur vedette de RTCI, la chaîne radio tunisienne en langue française. Il y était depuis près de trente-quatre ans. Interviews, directs, rencontres, couvertures, animation, culture, politique, cuisine, chanson, divertissement, écologie, nature, animaux et j'en oublie. Un touche-à-tout qui réussissait ce qu'il entreprenait. Il n'usait jamais de la brosse à reluire au profit de quiconque et il était respecté sous Bourguiba, sous Ben Ali, sous la Troïka et sous Béji. Il n'appartenait qu'à sa chaîne de radio, RTCI et était adoré par ses auditeurs qui étaient fidèles à ses rendez-vous. Il ne bâclait rien et faisait à chaque fois l'effort d'être au goût du jour. Il téléphonait, invitait, sondait, se documentait, préparait tout à l'avance. Il était un grand professionnel. Il, c'est le fameux animateur Adel Mothéré. Et l'utilisation de l'imparfait? C'est parce qu'il vient d'être mis à la porte. Même pas remercié ; mis à la porte. Oui, un beau jour, Adel Mothéré s'est rendu à la maison de la radio et le chaouch lui dit : «Monsieur, j'ai reçu l'ordre de vous interdire l'accès à l'immeuble de la chaîne». Il n'a rien compris, le pauvre. Est-il recherché par la police pour la consommation de drogues dures ? A-t-il touché des pots- de vin pour céder l'antenne à quelque homme d'affaires ? A-t-il blessé un collègue à coups de couteau ? Non. Tout simplement, AdelMothéré a passé dans la dernière émission avant de devenir indésirable, un jingle qui dit : «RTCI la plus belle des radios» au lieu de passer le nouveau jingle «RTCI nous réunit». Il s'est permis aussi de dire, ironique, comme d'habitude : «Restez avec moi jusqu'à neuf heures, car après neuf heures, je ne réponds de rien». Ces griefs, on les lui a adressés le jour même, sur un mail qui n'était pas le sien. Erreur d'adresse. Et comme il n'a pas répondu au mail qu'il n'a jamais reçu, on a mis fin à son contrat. C'est du Kafka tout craché ! Il faut noter que le départ de Adel Mothéré n'est qu'un épisode entre autres épisodes de départs d'autres grands noms de RTCI, pour des raisons aussi absurdes. C'est, en outre, le cas de Kamel Cherif, l'autre dinosaure de la chaîne qui a dit un jour : «votez utile». C'est le cas également d'Anouar Moalla qui n'était pas très correct politiquement et Donia Chaouch, l'ex-directrice de la chaîne. Règlement de compte ? Epuration systématique de tout ce qui dérange sur la scène médiatique ? Plan diabolique pour s'emparer de toutes les radios et de toutes les chaînes tunisiennes ? On est en droit de poser plein de questions qui n'annoncent rien de bon pour l'avenir de ladite Révolution. On est en droit de poser ces questions, surtout lorsqu'on sait que la seule chose qui a marché depuis le 14 janvier, c'est l'information. Tout le reste a échoué. Il est vrai que sous la Troïka, les «blessés de l'information ont tout essayé pour faire taire les télés et les (iilem el âar). Du sit-in vulgaire, sponsorisé par la Troïka et ses dérivés, aux coups bas malsains à coups d'argent et de trafic d'influence qui ont eu raison de toutes les chaînes qui ne caressaient pas le pouvoir dans le sens du poil. Or, si un décideur aime sa radio et son pays, la première des choses à faire avant de descendre les symboles et les valeurs sûres de la maison, c'est de vérifier en termes d'audimat et de rentabilité, si la personne qu'on a mise à la porte a du poids et si son départ n'est pas lourd en conséquences sur la chaîne. On sort souvent, aussi, la chanson du renouvellement des troupes et du rajeunissement de l'équipe et de l'évacuation des clous rouillés. Sur ce point précis, il est à rappeler qu'un beau jour, une radio française a décidé de remercier Philippe Bouvard, jugé trop vieux jeu. Ils l'avaient remplacé par Christophe Dechavanne à la tête de l'émission «Les grosses têtes». En 2001, Philippe Bouvard est rappelé pour sauver «Les grosses têtes», car Christophe Dechavanne l'a tout simplement ratée. Philippe Bouvard, à plus de 86 ans, est encore un animateur vedette sur les radios françaises. Mais si en France, ce qui préside aux grandes décisions, c'est d'abord l'intérêt de la chaîne et des auditeurs, chez nous, les règlements de compte sont à l'origine de toutes nos décisions. Et comme c'est une chaîne publique et que c'est l'argent du contribuable qui la finance, tout le monde se moque de l'audimat, de l'éthique, des valeurs sûres et des symboles et de la rentabilité. L'essentiel étant de faire plaisir à «Sidi».