La quatrième génération de nos revendications, c'est de faire aboutir l'égalité et la véritable citoyenneté de la femme. C'est de parfaire la parité. C'est de lutter contre une certaine mentalité importée d'Orient ou du fin fond des âges reculés. Aussi loin que l'on remonte dans le temps, l'une des principales raisons de vivre de nos grands-mères et arrière-arrière grands-mères était de retenir le mari, le distraire, le détourner de la mauvaise idée de prendre une seconde épouse. Il fallait, de surcroît, savoir s'imposer dans un environnement hostile, piloté par la belle-mère, avec les rivales et les belles-sœurs, à coups de ruses, de sorcelleries, de coquetteries et de grande marmaille composée de mâles, de préférence. C'était alors le poids de la tradition et de la religion qui maintenaient la femme dans un statut inférieur. A ce sujet, nous dit Dalenda Larguèche dans son livre* : «Nul ne discutera que dans le fiqh doctrinaire, fiqh théorique, le rapport entre hommes et femmes est un rapport entre puissants et faibles». Les générations successives de femmes d'avant-l'indépendance ont été les malheureuses héroïnes de tragédies au quotidien, qui nous sont parvenues de bouche à oreille. Seules étaient épargnées les femmes puissantes par leurs naissances ou celles faisant l'objet d'un amour infini de leurs conjoints. Des exceptions, donc. Les autres ont dû subir en silence une mise à rude épreuve de leur amour-propre. Ce sont les femmes qui espéraient seulement vivre dignes jusqu'à leur mort. Aroua, la Kairouanaise, et ses concitoyennes, qui ont eu la chance d'obtenir cette exception que fut le contrat de mariage kairouanais, est la représentante, le symbole de cette première génération de revendications féminines tunisiennes. La génération bourguibienne Avec l'indépendance et la promulgation du Code du statut personnel, Bourguiba a profité de sa popularité pour ordonner l'abolition de la polygamie et faire avaler l'amère pilule à une société traditionnelle. Raja Farhat, dans sa pièce intitulée à juste titre «Bourguiba prison 2», a scénarisé ce grand moment historico-politique. Il fallait que la formulation soit claire, décréta le leader, ne se prêtant à aucune équivoque. «La polygamie est abolie, point». C'est devenu une règle de droit. Cette deuxième génération de femmes, la génération bourguibienne, chanceuse, a connu les chemins de l'école, a pris connaissance d'elle-même, s'est épanouie et réalisée à travers l'autonomie financière et la protection de ses droits par la loi. Hélas, l'épopée a vécu une terrible récession avec l'accession au pouvoir de Ben Ali qui a fait de la question de la femme une propagande de vitrine sans réelles réflexions ni visions. Des Tunisiennes se sont illustrées dans cette période, dans la lutte contre le tyran, Khadija Chérif, Souhyr Belhassen, Radhia Nasraoui, Maya Jéribi luttant pour réclamer non des droits spécifiques, non leur singularité de femmes, mais la démocratie et la liberté pour tous. La Tunisie ployait alors sous un régime policier corrompu et petit, la vie y était triste. La Tunisienne a sauvé la Tunisie Avec la révolution et jusqu'à l'institution pérenne de l'Etat, une troisième génération de femmes a pris le flambeau pour lutter contre un projet obscurantiste qui se préparait à bâillonner les femmes en premier. Les démocrates tous genres confondus, les intellectuels et les femmes, converties en militantes, se sont battus sans répit. Certaines se sont illustrées, Selma Baccar, Sana Ben Achour, Bochra Bel Haj Hmida, Raja Ben Slama. La liste est très longue et que celles, nombreuses, qui ne sont pas citées, nous pardonnent. Dans ces moments difficiles, fatidiques, où le destin de la Tunisie était en jeu, où il risquait de basculer, ce sont les femmes de la société civile, à travers leur mobilisation, leur sit-in, leurs manifestations, qui ont tenu la rue, fait trembler les puissants de l'époque, ceux de la Troïka qui voulaient la régression de la Tunisie. Souvenez-vous des déclarations au sujet d'une introduction de la charia comme source de droit dans la Constitution tunisienne. Souvenez-vous de la mollesse de beaucoup de politiques. Souvenez-vous des vidéos fuitées d'un Rached Ghannouchi promettant de modifier le Code du statut personnel et d'un Abdelfattah Mourou promettant de s'occuper de nos enfants pour les dresser comme il faut. Souvenez-vous de la manifestation des femmes le 13 août 2012. La Tunisienne a porté le flambeau, a maintenu le cap. Elle n'a pas vacillé. On ose affirmer ici que la Tunisienne a sauvé la Tunisie. C'est elle qui a indiqué la voie à suivre. Tous les débats sont utiles Un million de Tunisiennes se sont déplacées un certain 26 octobre 2014 pour voter ou faire barrage. Le plus dur est passé. Aujourd'hui, le modèle social n'est plus en péril, c'est ce que nous aimerions croire, du moins. Que doit être la quatrième génération féminine, donc ? La quatrième génération de revendications ? Seulement voilà, à chaque fois qu'un débat est lancé, des voix prennent un malin plaisir à éluder la question sous prétexte que les femmes tunisiennes, dans leur majorité, ont d'autres soucis. Or, quelles que soient le type de revendications, qu'elles relèvent de la survie ou d'un détail de la vie sociale, ce sont les femmes leaders qui les expriment : les femmes politiques, ministres, députées, avocates, professeures et journalistes, et celles de la société civile. Celles qui ont la voix et la capacité d'interpeller les autorités et les centres de pouvoir pour faire avancer le débat et imposer des choix. Si la femme rurale perçoit la moitié des traitements de son partenaire, si la femme divorcée, pourtant tutrice de ses enfants, ne peut ni leur demander le passeport, ni les faire voyager, sans l'autorisation du père, ce sera aux femmes actives et influentes de revendiquer la parité des salaires au bureau et au champ, et le droit de tutelle en pratique et non en théorie seulement. La femme tunisienne reste à la pointe des avancées législatives dans le monde arabe et musulman. Mais pour faire avancer les lois et les mentalités qui ont du mal à bouger quand elles ne reculent pas, tous les débats sont d'actualité, il n'y a pas de débat futile et un autre utile. La question qui se pose donc : que deviendra le féminisme tunisien? La quatrième génération de nos revendications, c'est bien de faire aboutir l'égalité et la véritable citoyenneté de la femme. C'est de parfaire la parité. C'est de lutter contre une certaine mentalité importée d'Orient ou du fin fond des âges reculés. C'est d'ouvrir tous les débats, même s'il s'agit d'héritage, même les plus délicats. C'est de veiller à ce que la Tunisie maintienne le cap vers la modernité. Bourguiba est parti, aujourd'hui, avec beaucoup de modestie, Bourguiba, c'est nous. *Dalenda Larguèche, Monogamie en Islam, l'exception kairouanaise, Centre de publication universitaire, La Manouba 2011