Par Jawhar CHATTY Depuis quelques jours, le chef du gouvernement, Habib Essid, est, paraît-il, fort contrarié. Et on le comprend. Premier ministre atypique, président de gouvernement tout aussi atypique, il est en prise avec la réalité politique et la réalité du terrain. Sui generis, inclassable, il n'est de fait (et constitutionnellement) ni le Premier ministre exécutant des humeurs de la présidence de la République, ni tout à fait un président de gouvernement qui, selon la Constitution, devrait être le chef de la majorité au sein du Parlement. Ce statut, ce non-statut plutôt, est une fâcheuse source d'instabilité pour le gouvernement et d'inconfort pour son chef. Dans les annales du droit constitutionnel comparé, la Tunisie fait à cet égard exception. Dans les annales du consensus politique, et des compromis, elle fait également exception. Une double exception qui, en dehors de toute interférence dans l'action du gouvernement, aurait pu être une extraordinaire source de renouveau et de dynamisme pour le pays. Aujourd'hui, l'exception tunisienne est une source d'inertie et de blocage. Habib Essid connaissait sans doute les travers — et les pièges — de cette exception. Si, malgré tout, il avait accepté d'aller au charbon, c'est, du moins on le suppose, parce qu'il avait l'intime conviction que «son» projet d'action pour la Tunisie et sa conception de l'exercice du pouvoir ne se heurteront pas à la conception que se fait Carthage du partage du pouvoir. Habib Essid avait pris sur lui d'exécuter le programme économique de Nida, que plus personne ou presque à Nida n'en fait aujourd'hui l'écho ou la pédagogie auprès de l'opinion publique. Les cent jours tirent à leur fin et il aura passé le plus clair de son temps dans d'interminables négociations avec un partenaire social plus qu'influent. Sans aucun ou peu de réconfort de Carthage et sans compter le diktat de Carthage ! Avec Bourguiba, il y avait le Premier ministre fusible qui pouvait être sauté au moindre dérapage et à peu de frais. Avec Caïd Essebssi, il y aurait désormais un Premier ministre, président du gouvernement-condensateur. Celui qui encaisse les coups et les charges opposées en attendant la surcharge et l'emballement du moteur ! Pour les frais, on verra plus tard. C'est aussi cela l'exception tunisienne.