Par Samira DAMI La pièce s'ouvre sur des images défilant sur un grand écran au rythme d'une musique syncopée. On y voit des vidéos montrant des exécutions perpétrées par des jihadistes terroristes. Puis un homme armé d'une caméra filme le public qui apparaît sur l'écran. Enfin, l'homme quitte la scène pour filmer les comédiens en direct de leurs loges. Le premier contact avec les acteurs ne s'établit pas, ainsi, à travers la scène et la représentation vivante, mais à travers l'image et l'écran. Aussi, «Plateau», mise en scène par Ghazi Zaghbani, annonce-t-elle d'emblée le ton et son véritable enjeu : épingler les médias, plus précisément les chaînes de télévision privées, qui usent de leur pouvoir afin de servir des intérêts politiques, électoraux et financiers. Et le terrorisme semble le meilleur moyen pour arriver à leurs fins : il suffit d'instrumentaliser ce fléau en jouant sur les peurs et les épouvantes des individus et de la masse. Cela en fabriquant l'information, en recourant à la rumeur, au mensonge, à la désinformation et à la manipulation des esprits et de l'opinion publique. Ces médias sans foi ni loi se transforment, donc, en outils aux mains de politiques et d'hommes d'affaires véreux qui leur dictent leurs quatre volontés et leurs instructions dans une course effrénée à la conquête du pouvoir. «Plateau», adaptée de «Nekrassov», la pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre, traite du rapport entre le monde de la politique, les médias et le terrorisme en s'interrogeant sur la réalité et le degré de leurs liaisons et de leurs connexions : qui fabrique le terrorisme ? Qui manipule qui ? Qui se sert de qui ? A quelle fin ? La fable raconte la quête d'un journaliste, Abdessatar (Yahia Feidi), à la recherche d'un sujet à même d'accrocher les téléspectateurs et de réaliser le maximum d'audience, en un mot du «buzz». Mais voilà qu'il croise le chemin de Moncef Valera, alias Abou-Taki (Ghazi Zaghbani), un ancien escroc converti en chef terroriste, et Emir d'Al Qaïda du Maghreb arabe, qui prétend détenir la liste des futurs assassinats terroristes. C'est le scoop, objet du désir, qui sera exploité à fond par tous : le journaliste, le boss Jilani (Mohamed Graïa), Ahmed le big boss, homme d'affaires et propriétaire des fréquences de la chaîne, le policier et la candidate aux élections présidentielles, Mme Bououn (Fatma Ben Saïdane) qui sera finalement élue grâce au tapage et à la manipulation médiatiques. Le terrorisme, juste un épouvantail ? Pourtant, malgré l'intention claire et nette de la part de l'adaptateur de la pièce de détisser la trame complexe du terrorisme et de mettre à nu cette obscure nébuleuse, nous sortons de la pièce avec le sentiment que le terrorisme n'est qu'un épouvantail, un spectre, un épiphénomène amplifié par les médias à des fins politiques et de profits financiers. D'où cette ambivalence et cette ambiguïté dérangeantes qui minent le propos. Il manque, donc, à la pièce afin de grommer ce sentiment, un traitement plus nuancé et plus profond. D'autant que dans «Nekrassov», il s'agit clairement d'une satire de la presse et une violente critique des thèses communistes de la presse française dans les années 50. «Plateau» pèche également par le recours au discours direct et par une certaine lenteur, outre que certains personnages sont stéréotypés dans la forme. Le boss (Jilani) en costume papillon tirant sur son cigare, le journaliste par trop lèche-botte, la candidate aux présidentielles qui fait, encore et toujours, des promesses farfelues et mensongères (Mme Bououn), mais sans aucune nuance dans la construction du personnage et nous en passons. Cette pièce qui se veut tragi-comique se déroule dans une atmosphère glauque oscillant entre la réalité et la fiction à travers l'emploi de documents (images de télévision, vidéos et extraits de journaux télévisés) qui font partie intégrante de la structure narrative qui englobe également la fiction théâtrale. Les comédiens qui s'agitent dans un décor quasi dépouillé ne sont pas tous et toujours convaincants. Mohamed Graïa sort un jeu stéréotype, tandis que Najoua Zouhair se contente d'un jeu en surface. Fatma Ben Saïdane convainc certes mais semble se complaire dans le même registre de jeu, oubliant qu'une comédienne a besoin de se renouveler pour perdurer. «Plateau», production du Théâtre national, donnera un nouveau cycle de représentations en mai prochain au 4e art.