Répondant à l'appel de leur chambre syndicale, les chauffeurs de taxis individuels de Tunis ont observé, jeudi dernier, une marche devant le ministère du Transport pour protester contre la dégradation constante de leur situation. En fait, il s'agit d'un mouvement général qui a touché plusieurs régions du pays, à l'instar de Sfax et Tozeur. Ceux de la capitale soulèvent plusieurs plaintes, les unes se rapportent, notamment, aux raisons de la baisse sensible de leurs recettes, les autres à ce qu'ils appellent leur «droit» de stationner au centre-ville et dans d'autres endroits encombrés, et de s'habiller comme bon leur semble au nom de la liberté d'habillement. Manifestement, les droits et les libertés font l'objet de beaucoup de confusions chez les taximen qui les appuient dans un cas et les blâment dans l'autre. Concurrence déloyale Tous les chauffeurs de taxis individuels sont unanimes pour affirmer que le rendement dans ce métier a beaucoup baissé. Ils imputent cette baisse à plusieurs facteurs parmi lesquels il y a bien sûr la concurrence livrée par les autres corporations privées naissantes. On veut parler, ici, du taxi collectif, ou plutôt le transport rural. Au lieu des huit places autorisées, les transporteurs ruraux, titulaires d'un simple permis louage, font monter le double dans leurs véhicules, ce qui fait qu'il y a beaucoup moins de voyageurs pour les taxis individuels qu'il y en avait avant leur arrivée. Ils entassent les voyageurs les uns sur les autres et en embarquent jusqu'à des dizaines. D'ailleurs, certains chauffeurs ont des convoyeurs à bord, comme sur les lignes Ariana/Laouina et Le Passage/Zahrouni. En 2008, le directeur de l'Animation du transport terrestre, nous a affirmé qu'il n'y aurait plus d'autorisations, étant donné que le ministère a envoyé des correspondances, notamment aux gouvernorats du Grand Tunis et à celui de Monastir depuis le 28/07/2005 leur demandant de ne plus en livrer. Et pour élargir le réseau de taxis individuels, une décision ministérielle, en date de décembre 2004, a étendu l'arrondissement urbain de la zone du Grand Tunis jusqu'à Soliman et Djebel El Oust. C'est vrai que depuis, les choses ont changé, surtout avec le nombre prodigieux de permis de place livrés, qui ont atteint des milliers en 2011, mais le problème se situe au départ : pourquoi installe-t-on le transport rural en pleine zone urbaine ? Selon quelle logique a-t-on autorisé à ce genre de transport de s'y implanter? Si l'argument allégué était le nombre insuffisant de taxis individuels, n'aurait-on pas pu l'augmenter? D'autre part, pourquoi ce sont les gouvernorats qui livrent les autorisations de taxi collectif et non pas l'autorité de tutelle par le biais de ses directions régionales? En fait, les grands gêneurs sont et le taxi touristique et le taxi collectif, les grands privilégiés, selon les chauffeurs de taxis individuels. Les premiers ont un tarif plus important et beaucoup plus de liberté, puisqu'ils travaillent sur un territoire immense couvrant plusieurs gouvernorats. Les seconds sont comme des louages en zone urbaine, avec les huit places autorisées, ils gagnent plus et se déplacent moins, ce qui veut dire que leurs charges sont inférieures à celles de ces derniers, en ce sens que pour égaler une seule de leurs courses, ils doivent en faire au moins deux et parcourir une double distance, c'est-à-dire consommer plus de carburant. Le transport rural n'est pas le seul indésirable pour les chauffeurs de taxis individuels, il y en a d'autres. Il est question des bus privés qui changent de statut et deviennent exactement comme ceux de la Transtu aux heures de pointe, puisqu'on y trouve autant de places debout que de places assises, sinon plus. Ainsi, ils leur livrent une concurrence déloyale, à l'image des taxis collectifs qui usent du même procédé. Assainir le paysage urbain Les chauffeurs de taxis individuels cessent d'être demandeurs lorsqu'on fait intervenir les clients, là, ils deviennent défendeurs et passent au rang des accusés. On leur oppose plusieurs griefs: la tenue incorrecte, la barbe de trois jours, les cheveux crasseux et la casquette à l'envers, l'état des voitures, dont certaines sont comme des dépotoirs, où on a du mal à respirer. Comble de l'ironie, leur chambre syndicale régionale réclame l'abolition de la loi sur la tenue vestimentaire, en appelant à amender la loi n°33-2004 portant organisation des transports terrestres. Pour le président de la Chambre, Faouzi Khabbouchi, cette loi comporte plusieurs points flous qui risquent de donner l'opportunité aux agents de police de la circulation de lui donner l'interprétation qu'ils veulent, notamment les dispositions relatives aux manquements aux exigences de l'apparence convenable. Il souligne, en outre, qu'elles ne sont pas adaptées au principe de la liberté vestimentaire garantie par la Constitution et qu'elles favoriseraient le retour des «pratiques répressives»! Le grief le plus grave qu'on oppose aux chauffeurs de taxis touche à leur comportement. En effet, on reproche à certains d'entre eux d'adopter les manières des chenapans et de se permettre d'insulter leurs clients, indistinctement hommes et femmes, jeunes et vieux. Et quand ces derniers sont épargnés de leurs insultes et de leurs propos scatalogiques, ils s'en gratifient entre eux, à haute voix, sur la voie publique, et parfois ils en viennent aux mains, pour se disputer les clients. Ce sont les scènes auxquelles on assiste au quotidien, dans des endroits tels que l'aéroport Tunis/Carthage ou devant un des hypermarchés où on n'accepte que les longues courses dont les prix ne sont pas, la plupart du temps, déterminés par le compteur. Par ailleurs, le chauffeur accueille le client par la fameuse phrase «où est-ce que vous allez ?», comme s'il le prenait en auto-stop. Et lorsqu'il essaye de lui opposer la loi, en lui demandant que s'il n'est pas libre, il n'a qu'à remplir la feuille de route, il lui fait entendre des propos désagréables. Décidément, les feuilles de route ont du mal à être appliquées dans le pays. Ces dépassements en série de la part de ces taximen installent une vraie anarchie, notamment au centre-ville de Tunis dont ils bloquent les issues avec des rangées de voitures, stationnées en deuxième, voire en troisième file. D'où l'urgence de l'évacuer au plus vite, en dirigeant ces taxis vers la périphérie, comme l'a annoncé le ministre du Transport qui a déploré, entre autres, la grande confusion qui règne à l'aéroport, la vitrine du pays. Espérons que ces mesures et ces efforts ne seront pas occasionnels et que l'autorité de tutelle ira jusqu'au bout dans son projet d'assainissement urbain. Encore faut-il que le citoyen s'y mette, car l'engagement de cette dernière demeure insuffisant, pour changer l'aspect désagréable de notre transport privé, tant que les usagers ne s'y impliquent pas. Ils sont appelés à se départir de leur passivité et de leur silence complice qui ne peuvent qu'aggraver la situation. Commençons donc par l'organisation du stationnement des taxis, grands et petits, avant même, s'il le faut, de s'attaquer aux commerçants illégaux et leurs étals anarchiques qui prolifèrent dans nos villes, surtout dans la capitale, en leur faisant perdre leur charme, et ruinant notre économie. Cette deuxième manche sera, de toute évidence, encore plus dure, mais il faut bien commencer quelque part...