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Le parcours et la trace
Entretien du lundi :Radhouane El Meddeb, artiste et chorégraphe
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 04 - 2015

Il y a, à peine, une dizaine de jours, Radhouane El Meddeb fut celui qui fit entrer la danse dans le Panthéon. A Paris, ce fut l'évènement, c'était la première fois qu'un spectacle vivant a fait son entrée dans ce haut lieu de la mémoire française par excellence. Et c'était signé Radhouane El Meddeb, artiste tunisien, bien de chez nous...Une dizaine d'œuvres à son actif, des productions des festivals et des centres chorégraphiques et théâtres les plus prestigieux en Europe et ailleurs, mais aucune trace de lui sur la scène tunisienne, certains ignorent même son existence...mais l'histoire de l'art et de la danse retiendra son nom.
En 1996, vous avez été consacré jeune espoir du théâtre tunisien par la section Tunisie de l'Institut International de Théâtre. Aujourd'hui près de 20 ans après quel regard posez-vous sur votre parcours ?
Ma vie est pleine, comme mon corps et mon cœur toujours vibrant d'émotion et de peur... une envie réelle de disparition... d'envol... depuis tout temps... Il s'est passé beaucoup de choses dans ma vie. Mon pays m'a beaucoup donné, j'ai eu la chance de travailler, côtoyer et fréquenter des gens de qualité qui m'ont aidé à grandir... à m'ouvrir au monde... à l'art... La prise de risque et l'exigence...
La Tunisie de cette époque, ma famille et cet entourage qui m'a adopté... pour transmettre l'amour de ce métier... la jeunesse et l'innocence et ma ferveur m'ont guidé... et je me suis laissé aller... un pays en ébullition... une famille simple et heureuse... et des artistes, généreux et passionnants... et moi, avide et vulnérable... en un mot : passionné !!!
Qu'est-ce qui a motivé votre départ en France, vous êtes parti à la recherche de quoi précisément ?
Le départ pour la France, c'était un départ pour me renouveler, la quête d'autres choses... la peur d'être figée dans un système... le commercial... je sentais que mon ambition était plus grande que cela !!! la France m'a poussé à aller encore plus loin dans mon rêve... un rapport au temps pour l'affirmation de soi... des gens pointilleux... une vraie concurrence saine... Vivre de son métier... honorablement et dignement... Je n'ai jamais rêver de partir, l'idée de vivre loin de ma famille, de mes ami(e)s et de mon pays restera une douleur sans nom... Un jour, je me suis réveillé avec la certitude de ne plus avoir les codes de chez moi, et puis la France m'ouvre les bras pour mieux me servir les moyens et me combler de respect... et La Tunisie qui tourne ma page... m'oublie... alors on s'y fait... on reste... le pays d'accueil deviendra mon pays... et mon pays originel devient paradoxalement l'autre pays... Et puis, la disparition du père... suivie de la révolution... Vivre tout cela à distance ronge et infeste le peu qui te reste...
Depuis 2005 vous vous êtes éloigné du théâtre pour faire de la danse, quelles sont les raisons de ce choix ?
Je suis certain d'avoir rêvé de danse et de corps en mouvement... le théâtre fut un refuge... assumé et confortable pour moi! j'ai toujours eu peur de formuler cette envie... d'aller jusqu'au bout de ce rêve... et puis, un jour, l'obsession suit le désir... ou bien cette conviction devient obsessionnelle... une vocation ou plutôt une révélation...
Votre entrée dans le monde de la danse s'est faite à travers une création «pour en finir avec MOI», avez-vous besoin de régler des comptes avec vous-même, votre profession avant de tourner la page ?
«Pour en finir avec MOI» est tout simplement mon bouleversant désir d'être dans l'art de la danse... Le théâtre ne me suffisait plus... Encore des rencontres qui te bousculent et basculent ta vie... Pour en finir avec MOI est le solo vital et révélateur... Le 5 mai 2005 à Tunis... la révérence de toute une profession, chez moi... en Tunisie...
En Europe et plus précisément en France, est-il difficile de s'imposer en tant qu'artiste «étranger» ?
Une œuvre, ou un artiste... ne sont justes et vrais que lorsqu'ils sont singuliers, exceptionnels, universels... porteurs d'identités multiples... J'ai toujours eu du mal à me considérer «artiste étranger» ou «artiste exilé». Il y a dans mon approche chorégraphique une telle affirmation de SOI que la notion d'identité devient secondaire... une preuve de soi, invincible qui sépare l'individu que je suis... la provenance ou l'origine sont des notions qui restent lointaines d'un processus créatif... la création se libère certainement pour aller plus loin... je déteste les classifications... car cela limite mon ambition... je crée... c'est comme l'inspiration divine... une illumination... comme par intuition... il y a beaucoup d'exigence d'absolu, besoin de perfection et de justesse... du coup, ma place s'est imposée... pour cela et non pas parce que je proviens d'un pays maghrébin... je déteste et refuse de me traiter comme une marchandise... Je porte en moi mon Histoire... certainement riche et plurielle... je suis plein de références , de métissage... anthropologiquement hybride... Ma danse devient alors un lieu de recueillement et de mémoire pour évoquer un passé, mon passé, une identité, une Histoire... la mienne.
Etre auteur de vos propres créations vous a-t-il permis d'offrir une part de votre identité tunisienne à un public occidental qui ignore en général les spécificités de notre société ?
Un pays nourrit, grandit un artiste et son œuvre... et en même temps, cela peut contraindre et contrarier... comment y échapper? En se libérant... Je me suis libéré de cette responsabilité... de porter une identité nationale... une appartenance... cela est en moi... encore une fois, dans mon corps et mes veines... naturellement et inévitablement... je ne suis pas missionnaire ou ambassadeur... mais un créateur !!! je connais certainement ma provenance... je suis en harmonie avec mon corps et sa mémoire... cela devient plus fort que moi... qui s'impose librement et fatalement comme une évidence... non pas comme une étiquette !!!
Dans vos différentes œuvres, vous défendez un parti pris, la problématique du corps en est le centre. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pasolini, décrit «il corpo nella lotta» mettre mon corps dans la bataille, c'est mettre le corps, certainement mon corps, en jeu... le donner à voir... le corps porteur d'émotion et de pensée, la mémoire du corps, qui est le mien, porte des traces des autres... marque des moments... et tend vers la disparition... j'aime les corps marqués, porteurs... chargés... explosifs... guidés par le regard qui leur donne leur sens... j'aime les corps, qui sont dans la bataille de la vie... qui est certainement source d'inspiration... l'écriture chorégraphique me permet de transcender le réel... le social... qui me nourrit... me remplit d'émotions comme d'actualité... et des autres corps... écrire par le geste plein, fonder un vocabulaire singulier et inventer des chemins dans l'espace tracé par un geste net... le corps est mon outil et instrument... libéré, personnel, singulier... mais universel et généreux...
Pour danser, je puise dans ma mémoire, mes souvenirs... j'aime me mettre à l'épreuve.... dévoiler une part de moi, ma singularité... Je manipule les genres, l'altérité... le silence... l'invisible.... l'émotion... la sincérité... la douleur... Donc l'universel. Travailler sur le corps et avec le corps : plus d'ouverture vers l'autre, générosité... appréhension de l'autre et des contextes. J'essaye de tracer un parcours, de pousser mes limites, d'interroger les formes et les genres... Chorégraphier et danser sont devenus une résistance et force que je puise... une descente aux enfers pour mieux supporter le monde dans lequel nous vivons. Transgresser, transcender comme pour mieux atteindre l'absolu... pour plus de lumière et de grâce... . C'est ma manière d'être dans une spiritualité... comme pour atteindre l'au-delà... être dans le sacré... la sublimation... . Pour échapper à la menace de l'aliénation... de la bêtise... et de la régression
Une dizaine d'œuvres qui parcourent le monde, vous dansez dans les plus grands festivals et sur les scènes les plus prestigieuses, mais on ne vous voit presque jamais en Tunisie, pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette absence ?
C'est assez douloureux pour moi de ne pas présenter mes créations en Tunisie, je sais que certains suivent mon activité... mais il y a l'ignorance des opérateurs «le ministère». A part quelques invitations de dernière minute, j'ai été très peu sollicité... il y a aussi l'exigence technique de mon travail et les contextes peu favorables pour que je puisse présenter mon travail. Il est désolant de voir la domination de la légèreté, du commercial et du divertissement envahir tout le pays. Mais c'est aux artistes tunisiens de s'approprier le tout et de faire une vraie révolution culturelle pour établir un vrai projet et de vraies institutions... La grande révolution populaire est, hélas, suivie par une minuscule et timide action culturelle. Et tant que la culture n'est pas au centre du projet politique du pays... c'est la dégradation et l'ignorance qui domineront dans le futur.
Quel regard posez-vous sur la scène artistique tunisienne ?
La scène artistique tunisienne, depuis toujours, et surtout après 2011, déborde de créateurs et de propositions, cela ne peut être que bénéfique. Mais il me semble qu'il y a un vrai souci de qualité et de justesse. Le spectacle vivant et les artistes «auteurs, metteurs en scène et chorégraphes et interprètes» sont dans cette urgence tout à fait justifiée de s'exprimer et de créer... mais la profession reste désorganisée, le rapport avec le ministère de la Culture est équivoque, vu le manque d'une vraie réflexion politique sur la place culturelle et artistique. L'importance de la création contemporaine est une chose inévitable, avec des gens qualifiés...
La création de secteurs pour chaque discipline, la création de lieux, et le placement de la création au centre du projet culturel et éducatif sont des urgences.... Il ne s'agit pas de faire des spectacles, bons ou mauvais mais pourquoi et comment les faire... Le manque d'une bonne formation, la dispersion des artistes, la présence de gens non compétents et non expérimentés aux postes clefs au ministère constitue un grand handicap pour l'évolution et la pérennisation. Et puis, il y a des artistes, des professeurs dans les lycées, ou acteurs de télévison qui font que les propositions n'aboutissent pas... il y a un rapport au temps et à l'espace qui n'existe pas en Tunisie.
Il faut tout interroger et construire, définir ce chaos et ce désordre qui font que tout est événement... éphémère... sans échos... sans but et sans projet... ce n'est pas un manque de moyens, mais le manque de réflexion pour la mise en place d'infrastructure et dispositif pour renforcer les métiers du spectacle vivant... Quand je pense qu'en Tunisie, il y a quelques années, il y avait un ballet national et un centre national de la danse. Mais nul n'est prophète dans son pays, je vais me contenter de ça... je déteste les polémiques... les absents ont toujours tort, a-t-on tendance à dire...
Si l'occasion vous est donnée pour retourner travailler en Tunisie, quel sera votre projet essentiel ?
Je peux envisager de rentrer pour participer à mettre à plat tout un système et participer à l'organisation des métiers du spectacle vivant... cela est une mission ambitieuse... Un travail de fond est nécessaire, je reste dans l'attente d'une proposition pour présenter mon travail, monter un projet, donner des cours, monter des créations. Mais c'est terrible de recevoir des invitations de tout genre des plus grands festivals, théâtres et biennales... et rien de chez moi !!! C'est à Tunis, dans ses salles, théâtres et festivals et avec ses artistes que j'ai grandi et découvert le théâtre et la danse... et ça je n'oublierai jamais.
Pensez-vous que l'art et la culture soient les derniers remparts contre l'obscurantisme et que cela soit le défi premier à relever?
Il faut que les artistes tunisiens prennent le temps de réfléchir le projet culturel de la Tunisie et l'imposer aux politiques... Ce temps de réflexion doit se faire avec les artistes, des intellectuels des sociologues, des économistes et des politiques... L'art et la culture doivent devenir une obsession. La danse, par exemple, elle nous apprend à être irrespectueux des règles, pour mieux les transcender... Cela exige de la détermination et du courage... c'est une entreprise à mettre sur place, sinon nous serons tous complices de l'extrémisme et de l'obscurantisme!
J'ai envie de dire ces mots qui ne sont pas les miens aux artistes, politiques et aux Tunisiens «Dansez, sinon nous sommes perdus, danser pour ne pas nous perdre et retrouver notre chemin... dansez avant qu'il ne soit trop tard». Là, je vous livre l'idée de Pina Bausch.


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