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L'école et la mobilité sociale
Publié dans Leaders le 22 - 09 - 2009

La rentrée scolaire nous invite à réfléchir ensemble sur l'Ecole. Des investissements substantiels, des acquis précieux et une ambition sans cesse plus grande. Mieux et plus, chacun cherche l'excellence, la performance. En prévision de la grande consultation nationale qui sera lancée cet automne, Leaders ouvre le débat. Première contribution, celle de M. Habib Touhami. Instructive. A vos plumes, et clavier, pour nous écrire sur : [email protected] .
Assurément, il y a beaucoup de choses à dire à propos de notre système éducatif, sur son efficience et ses résultats globaux ou sur la tendance de certains « pédagologues », ou plus encore sur le savoir qu'il dispense. Notre propos ici se limite à essayer de poser le problème du rôle de l'école dans la mobilité sociale, mobilité sans laquelle aucune paix sociale n'est possible et aucun progrès ne sont envisageables dans la durée.
Traiter de « l'école et la mobilité sociale » me conduira vraisemblablement à fâcher le plus grand nombre, et d'abord les « décideurs » de quelque nature que ce soit. Mais à gratter un peu sous l'écorce, on se rend vite compte qu'un tel sujet est de nature à fâcher aussi les classes favorisées puisqu'il met directement à nu des privilèges et une volonté de domination opportunément noyés dans ce qu'on appelle « méritocratie ». Il pourrait fâcher tout aussi bien les enseignants puisqu'il suggère que, peu ou prou, l'école publique a failli, dans une certaine mesure, à sa mission sacrée de donner une chance égale à tous. N'oublions pas non plus les sociologues dès lors que ce thème n'a pas encore recueilli de leur part toute l'attention qu'il faudrait, ce qui peut d'ailleurs laisser à penser que certains d'entre eux passent en définitive à côté de la quintessence même de leur matière: l'étude des « effets pervers ». N'est-ce pas Raymond Boudon qui définissait justement la sociologie comme « une étude des effets pervers » ?
A ne pas en douter, l'école reste encore aujourd'hui le principal ascenseur social. Hélas, l'ascenseur connaît des ratés de plus en plus mémorables puisque, pour l'heure, l'école a tendance à figer les positions sociales plus qu'elle ne contribue à les faire bouger. Certes, ce phénomène prévaut depuis longtemps dans les sociétés démocratiques développées sans que l'on puisse y remédier sérieusement (pays scandinaves exceptés) et sans qu'il occasionne de déflagrations sociales majeures, mais sa transposition aux sociétés en développement, bien moins tempérées par l'amortisseur démocratique, pourrait susciter de graves inquiétudes quant au devenir de la paix sociale dans ces sociétés. Il serait très difficile, en effet, d'envisager la correction des tendances actuelles sans la remise en cause de l'école elle-même, et donc sans la remise en cause de l'appareil éducatif dans son entier. Or une telle remise en cause risque de déboucher, peu ou prou, sur la remise en cause de la société, et à tout le moins des rapports sociaux qui la régissent.
La mobilité sociale parfaite n'existe pas
Il ne faut cependant pas trop rêver : la mobilité sociale parfaite ou totale n'existe pas. Si elle existait, les hommes se répartiraient, au hasard, aux différents niveaux indépendamment de leur origine : un fils d'ouvrier aurait autant de chances de devenir PDG que le fils du patron, etc. Malheureusement, c'est le phénomène inverse qui se produit, avec des nuances qui tiennent aux différents milieux sociaux. La reproduction sociale est en effet forte aux deux extrêmes de la hiérarchie sociale (milieux défavorisés et milieux favorisés), beaucoup plus faible au sein des classes moyennes, les classes moyennes constituant le carrefour de la mobilité sociale du fait que la fluidité sociale y est plus importante. En fait, les deux catégories les plus immobiles sont d'une part, les cadres et professions intellectuelles supérieures et, d'autre part, les ouvriers. Par contre, la catégorie la plus mobile est celle des employés. Si cette catégorie est la plus mobile c'est parce qu'elle subit plus que les autres catégories l'influence des chefs hiérarchiques et que le comportement « social » de ces derniers déteint par mimétisme sur leurs subordonnés, dont le nombre moyen d'enfants, plus faible que la moyenne. Or cette « rétention sélective » est à même d'assurer plus aisément la charge d'éducation des enfants, favorisant ainsi la réussite scolaire et la promotion sociale.
A dire vrai, l'erreur fondamentale de l'école vue sous cet angle réside dans le fait que l'école s'obstine à traiter comme égaux, des individus objectivement inégaux. Laissons pour l'heure ce qui tient aux caractères sociaux du milieu familial dans la réussite scolaire, et penchons-nous d'abord sur ce qui est de la responsabilité de la puissance publique.
On s'aperçoit alors que la carte scolaire amplifie la rigidité sociale au lieu de l'atténuer puisque les meilleurs lycées se trouvent implantés dans les zones les plus favorisées et que les bons professeurs choisissent peu d'exercer leur métier dans les quartiers populaires ou difficiles. Certes, les choix des enseignants ne dérivent systématiquement pas de considérations purement mercantiles et tout enseignant digne de ce nom est d'abord soucieux de rentabiliser au maximum l'enseignement qu'il dispense. N'empêche, milieux aisés et réussite scolaire se confondent de plus en plus.
Ainsi, dans les familles aisées, la réussite scolaire se conçoit comme un objectif vital à atteindre à n'importe quel moyen, même au prix de plusieurs échecs scolaires et de sommes d'argent considérables, de plus en plus indécentes au demeurant. Et même si l'enjeu dans les familles défavorisées pourrait être le même, ce sont alors les moyens et l'environnement global qui font cruellement défaut. Il est toutefois patent que le meilleur rendement des établissements scolaires performants s'avère être "apporté" en partie par les élèves eux-mêmes, c'est-à-dire par le milieu social auquel ils appartiennent.
En effet, la composition socioéconomique de l'effectif des élèves dans un établissement quelconque joue un rôle déterminant dans les résultats de celui-ci dans la mesure où les établissements performants se caractérisent alors par une plus grande discipline, une meilleure couverture des programmes, un corps d'enseignants plus compétents ou plus « motivés » et par un nivellement s'effectuant nécessairement par le haut. Du reste, les familles aisées se déjouent des barrières administratives qui viendraient les entraver dans leur quête du meilleur établissement et finissent par inscrire leurs enfants dans celui-ci même s'il est situé à des kilomètres du lieu de résidence de la famille. Ce phénomène est de plus en plus perceptible dans le District de Tunis par exemple où certains lycées bien côtés accueillent des élèves habitant des localités ou des quartiers situés pourtant très loin des lycées en question.
Distinguer entre démocratisation et massification
Ces pratiques continuent pourtant à passer sous silence sous le prétexte fallacieux qu'il y a, malgré tout, démocratisation de l'enseignement. Certes oui, mais il faut alors bien distinguer entre démocratisation et massification. La massification (ou démocratisation quantitative) du système scolaire désigne un phénomène de diffusion de l'instruction mesurée par l'accroissement des taux de scolarisation alors que la démocratisation (démocratisation qualitative) désigne l'égalisation des chances scolaires mesurée par l'indépendance entre niveau de diplôme et variables sociales (milieu social, sexe, lieu de résidence, etc.). Force de constater qui s'il y a eu effectivement massification dans la mesure où une proportion de plus en plus grande de jeunes obtient le baccalauréat, les inégalités se transposent à un niveau supérieur.
C'est ainsi que les enfants d'ouvriers se raréfient de plus en plus dans les écoles d'ingénieurs et les facultés de médecine de notre pays. Loin d'introduire une forme de méritocratie en privilégiant les aptitudes individuelles par rapport aux privilèges héréditaires, l'école tend à instaurer, à travers la liaison passée sous silence entre l'aptitude scolaire de l'individu et son héritage culturel et socioéconomique, une espèce de ségrégation qui refuse pourtant de se déclarer en tant que telle.
Evidemment, la règle de la reproduction sociale connaît et connaîtra toujours des exceptions puisque des enfants de milieux populaires ou défavorisés font parfois des parcours scolaires et universitaires brillants et que tous les enfants de cadres et professions libérales supérieurs ne se maintiennent pas systématiquement dans le standing parental, il n'en demeure pas moins réel que les données chiffrées montrent que la règle de la reproduction sociale tranche nettement en défaveur des moins nantis. Cela est dû au fait que la réussite scolaire repose aussi sur la transmission d'un certain capital culturel et d'un certain « habitus » défini par Bourdieu comme étant l'ensemble de dispositions acquises par un individu au cours de son histoire allant jusqu'à sa façon de « se comporter, de penser, de sentir, c'est une culture intériorisée en quelque sorte ».
Or l'appel même à cet habitus introduit de facto de se mouvoir dans l'espace des positions sociales, espace hiérarchisé et rigide par définition. Cet espace protège les uns et rejette les autres. Il protège les plus favorisés dans la mesure où il leur donne accès à des réseaux de solidarité et de relations professionnelles qui annihilent toute tentative de pénétration ou contournement de la part des moins favorisés, fussent-ils exceptionnellement brillants ou méritants.
Phénomène aggravant, l'influence familiale ne s'arrête pas une fois le diplôme obtenu. Le fils de cadre et le fils d'ouvrier, titulaires d'un même diplôme, ne sont pas du tout à égalité sur le marché du travail (d'après certaines enquêtes, au moins 30% des placements se font par l'intermédiaire des relations personnelles). Pis, le rendement social du diplôme est grandement altéré. Dans la mesure où le diplôme a une « valeur » sur le marché, l'inflation que nous connaissons depuis quelques années sur ce plan a fini par entraîner une baisse de la valeur des diplômes en général, dans les sciences sociales et humaines en particulier.
Du coup, il y a de moins en moins de lien entre le diplôme et le statut social, ce qui ne touche naturellement pas certaines filières, et encore. Le paradoxe d'Anderson s'explique par le décalage entre la croissance forte du nombre de diplômes élevés et la croissance faible du nombre de positions sociales correspondant à ces diplômes. Il s'ensuit une hausse de la qualification moyenne des jeunes plus rapide que celle des emplois proposés (qualification acquises et qualifications requises). Cet écart se traduit par une dévalorisation des titres sur le marché du travail et une absence de mobilité sociale pour ceux qui les détiennent.
Enfin, l'influence du milieu d'origine continue à s'exercer dans la réussite ou non dans la carrière professionnelle, et les perdants sont malheureusement toujours les mêmes. Les sociologues emploient à cet effet le terme de qualification sociale ou de savoir être. Ainsi les enfants issus de milieux favorisés se retrouvent-ils tout naturellement avantagés dans leur parcours professionnel par une certaine aisance à se mouvoir en société, par la maîtrise des codes sociaux des milieux dominants, par l'apport de réseaux de relation et par un esprit de corps exclusif et d'alliance, la somme tempérant ou atténuant les fautes de parcours et les défaillances individuelles. Ces réseaux existent et il serait indécent de nier leur existence.
Le résultat est que nous sommes confrontés désormais au développement d'une forme de cooptation sinon de népotisme qui vide la méritocratie de tout contenu réel. S'y ajoutent les stratégies matrimoniales qui contribuent, par nature, à rendre la société plus rigide en pérennisant le positionnement social et en gardant le patrimoine et les richesses aux mains des plus favorisés. Du coup, l'acquisition d'un diplôme scolaire supérieur à celui du père n'assure plus au fils de l'ouvrier une position sociale plus élevée car la famille et le milieu social entrent en jeu en mobilisant en faveur des enfants de milieux favorisés différents types de capitaux auxquels le fils d'ouvrier n'a pas accès. Parmi ceux-ci, il y a l'héritage, c'est à dire la transmission d'un capital économique et notamment d'un patrimoine professionnel. Chacun sait ce qu'il advient des enfants de pharmaciens et de quelques autres professions libérales qui, bien que moins bien méritants que les autres, sont assurés de prendre la suite des parents.
Evidemment, la question de la mobilité sociale est différente de celle des inégalités. On peut avoir une société ayant une forte mobilité sociale et de grandes inégalités, ce n'est pas contradictoire. Les individus peuvent monter ou descendre facilement sur l'échelle sociale, en fonction de leurs mérites propres, dans une société où les inégalités sont très fortes. Cependant, si l'existence d'inégalités fortes s'accompagne d'une forte reproduction du statut social entre les parents et les enfants, l'injustice est redoublée : inégalité des chances et inégalité des conditions. Ce n'est donc pas par hasard si les seuls pays où une certaine démocratisation des carrières scolaires a été observée (Pays-Bas ou Suède par exemple) sont ceux où les inégalités sociales de niveau de vie et de sécurité économique se sont réduites considérablement par le jeu de la fiscalité et des transferts sociaux, et j'insiste tout particulièrement sur le rôle redistributif et correcteur de la fiscalité et des transferts sociaux.
De plus, dans ces deux pays, l'évolution n'a pas été en phase avec les réformes éducatives : cette désynchronisation entre les évolutions des opportunités éducatives et des opportunités sociales suggère que la démocratisation scolaire relève finalement de facteurs socio-économiques généraux. Plus que des réformes éducatives, l'atténuation des inégalités entre des groupes sociaux qui utilisent l'école en fonction de stratégies et sur la base de ressources différentes serait un vecteur efficace de démocratisation. La relation est en tout cas avérée entre le degré de démocratisation du système scolaire et le niveau de la mobilité (ou de l'immobilité) sociale.
En Tunisie, les données chiffrées sur la mobilité sociale sont inexistantes ou indisponibles et il en va de même des revenus et de leur distribution, deux champs pas suffisamment explorés, y compris par les chercheurs universitaires eux-mêmes. Certes, on peut toujours avoir une idée générale de l'évolution des revenus par le biais indirect et d'ailleurs insuffisant des enquêtes nationales sur le budget et la consommation des ménages. Mais on ne peut guère dresser un état satisfaisant des lieux concernant la mobilité sociale et les inégalités sociales à travers les résultats de ces seules enquêtes. Toutefois les quelques données chiffrées disponibles confirment que :
* Le rendement de l'appareil éducatif reste déficient en raison de la masse de jeunes qui en sorte, sans diplôme et sans formation véritable.
* Le taux de réussite des élèves et étudiants de milieux favorisés atteint un niveau sans commune mesure avec celui des enfants originaires de milieux défavorisés.
* En raison des coûts d'éducation et formation et des taux de réussite par milieu, les bénéfices tirés des dépenses nationales d'éducation par milieu montrent que les transferts sociaux censés corriger les différences de revenu les aggravent en fait.
Tableau extrait du VII Plan de développement (1987-1991) :
Tranches de dépenses par personne et par an
Primaire :
Nombre moyen d'élèves pour 1000 ménages
Primaire :
Transfert par habitant en D
Secondaire :
Nombre moyen d'élèves pour 1000 ménages
Secondaire :
Transfert par habitant en D
Supérieur :
Nombre moyen d'élèves pour 1000 ménages
Supérieur :
Transfert par habitant en D
Ensemble des transferts par habitant
- de 100
1420
24.600
150
6.100
5
1.300
32.000
100_150
1440
26.500
230
10.200
9
2.000
38.700
150_250
1330
26.400
290
14.100
12
3.200
43.000
250_500
1000
22.500
415
22.900
22
6.500
51.000
500_800
710
17.500
460
28.000
40
13.600
59.000
800 et +
510
14.800
420
30.000
105
40.800
85.000
Ensemble
980
22.000
380
20.900
35
10.600
53.500

* Le taux de réussite scolaire s'élève rapidement avec la situation sociale des parents, à partir du second cycle du secondaire (le lycée actuellement) plus spécialement. Ainsi le nombre moyen d'élèves pour 1000 ménages passe-t-il de 1420 à 5 entre le primaire et le supérieur pour les classes les plus défavorisées contre 510 à 105 pour les classes les plus favorisées.
* Certes, le bénéfice tiré au niveau du primaire des dépenses d'éducation était-il plus important pour les ménages de bas revenus, mais cela est dû en réalité à l'importance de l'effectif des enfants provenant de ces milieux, en gros trois fois supérieur en moyenne à celui des enfants des milieux favorisés. Par contre, pour le secondaire (spécialement le second cycle) et le supérieur, le bénéfice tiré par les groupes sociaux des dépenses d'éducation augmentent très sensiblement avec l'élévation dans la hiérarchie sociale, et ce en raison de la déperdition scolaire qui touche plus particulièrement les enfants d'origine modeste.
* Globalement le rendement de l'appareil éducatif s'avère médiocre puisque nous passons en moyenne de 980 élèves du primaire pour 1000 ménages à 35 étudiants seulement.
Cette situation n'a pas donné lieu au débat public qui s'impose et que l'on s'est contenté selon le formule du Plan lui-même de suggérer « qu'au cours du prochain plan, une réflexion globale soit engagée pour la mise au point de mesures spécifiques qui, sans porter atteinte aux transferts d'éducation bénéficiant aux plus démunis, garantirait une juste contribution des plus favorisés aux services publics d'éducation ». Ainsi suggérait-t-on simplement de remédier au problème par le slogan bien connu : « faire payer les riches ». Mais faire payer l'accès à l‘enseignement supérieur aux enfants des milieux les plus favorisés n'envoie pas plus d'enfants de milieux défavorisés sur les bancs de l'Université, encore moins dans les branches les plus prisées, c'est-à-dire la médecine, la pharmacie et les écoles d'ingénieurs.
Ah, ces calamiteux cours particuliers !
Justement, l'école de base instaurée depuis quelques années avait pour mission, à l'origine, de faire baisser le niveau des déperditions scolaires qui frappent les milieux défavorisés. En attendant la quantification analytique des résultats de l'expérience dans ce domaine (qui tardent à se faire connaître), force de constater qu'entre-temps le nivellement par l'argent ou plus exactement par la position sociale des parents s'exerce de plus en plus dans la réussite scolaire puisque les élèves inscrits dans un Lycée pilote prestigieux bien connu et dont les pères sont ouvriers ne représentent que 0,44% de l'ensemble des élèves.
Nous sommes donc confrontés à un double problème : d'une part les enfants des milieux défavorisés réussissent beaucoup moins que les enfants des milieux favorisés ; d'autre part quand ces enfants réussissent enfin à obtenir leur baccalauréat, ils sont condamnés pour la plupart à se masser dans des branches caractérisées par un fort taux de déperdition et par des débouchés peu sûrs et à tout le moins peu rémunérateurs. Certains voient dans ce phénomène « la main de Dieu », d'autres l'évolution normale des choses. D'autres encore privilégient le rôle néfaste de l'argent en se référant aux calamiteux cours particuliers, ou encore les conséquences négatives de la liberté donnée aux meilleurs enseignants de choisir leur lieu de travail. En fait, la situation actuelle est la combinaison de tous ces facteurs. Mais une société caractérisée par l'immobilité sociale est-elle viable ?
On serait tenté de répondre oui si l'on regarde ce qui se passe en France par exemple, encore que les derniers événements suggèrent que la côte d'alerte est dangereusement atteinte. En vérité, et c'est là la leçon de l'histoire, aucune société ne peut se développer ou vivre en paix durablement sans mobilité sociale. Or tout passe par le système éducatif dont le rôle est aussi de distiller le savoir, la sociabilité et le sens civique. Hélas, ce n'est plus tout à fait le cas dans notre pays.
Conclusion
Ce qui pourrait faire accepter aux moins nantis un ordre social inégalitaire, c'est en partie l'espoir réel ou imaginaire que tout un chacun pourrait accéder un jour aux plus hautes positions sociales, soi-même ou par « délégation », c'est-à-dire par l'intermédiaire de sa progéniture. C'est en ce sens que la mobilité sociale devient pour ainsi dire le pendant naturel de la démocratie et de la paix sociale (la passion égalitaire est consubstantielle à la démocratie selon Tocqueville). L'école est justement au centre de cet enjeu. Or les logiques sociales qui y règnent depuis quelques décennies conduisent invariablement à favoriser les plus favorisés et à reproduire les statuts sociaux.
Cependant, la reproduction sociale est, si j'ose dire, l'enfant « naturel » des inégalités sociales et aucune réforme du système scolaire dans le sens d'une plus grande démocratisation qualitative ne sera suffisante à elle seule pour atténuer ou retourner la reproduction sociale induite par le système scolaire. En d'autres termes, la réforme de l'école ne suffira pas à faire redémarrer l'ascenseur social si le contexte social demeure par trop inégalitaire.
En ce qui concerne une société comme la nôtre, il ne faut surtout pas négliger deux éléments additifs aux dangers que pourraient constituer les effets négatifs du système éducatif sur la mobilité sociale:
1. L'Islam véhicule dès l'origine ce que Taha HUSSEIN appelle « l'obligation d'égalité ». Il faut alors croire que dans notre société, la passion égalitaire l'emportera toujours, consciemment ou non, sur la passion démocratique, encore que l'on ne puisse pas imaginer l'une sans l'autre.
2. La société tunisienne reste nostalgique de l'époque bénie, pas si lointaine que ça finalement, où nous partions tous de la même ligne de départ, sans avoir à se coltiner avec un handicap régional, culturel, économique ou social rédhibitoire.


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