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10 septembre, journée mondiale de prévention du suicide: Comprendre le vécu pour changer le récit...
Publié dans Leaders le 10 - 09 - 2025


Par Samir Samaâli, médecin psychiatre tunisien
Ecriture, hommage à un combat silencieux et à la mémoire d'un être cher
On croit souvent que le suicide n'est qu'un chiffre dans les statistiques, une donnée froide perdue dans les rapports de santé publique, une réalité abstraite qui ne toucherait que les autres, les inconnus. Jusqu'au jour où il s'impose à nous, brutalement, changeant à jamais notre manière de percevoir la douleur morale, et où, au milieu de toutes les voix de la souffrance, existe celle qui reste silencieuse… Car chaque silence né de la souffrance renferme un appel, et chaque appel porte en lui une étincelle d'espoir qu'il nous appartient, par amour de la vie, de raviver…
Par l'écriture, nous questionnons à la fois notre culture et notre mémoire. Cet article, j'ai décidé de l'écrire avec une double plume: celle de l'ami marqué par la perte d'un être cher suicidé, et celle du médecin qui rencontre des visages meurtris par les idées suicidaires. Car chaque vie mérite d'être vécue, que chaque douleur morale mérite d'être entendue et comprise, et que toute souffrance doit être reconnue et prise en charge médicalement, psychologiquement voire même socio-culturellement…
Ruban jaune: l'espoir encore méconnu contre le suicide
La Journée mondiale de prévention du suicide (JMPS) s'est commémorée chaque 10 septembre depuis 2003, sous l'égide de l'Association internationale pour la prévention du suicide (IASP) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette année, elle célèbre sa 23e édition et rappelle l'importance de sensibiliser le public aux risques suicidaires et à la prévention. Pour la période 2024–2026, le thème « Changer le discours sur le suicide » (Changing the Narrative on Suicide) souligne la nécessité de rompre avec le silence et la stigmatisation.[1,2]. Le ruban jaune est devenu un symbole international, encore méconnu, de prévention du suicide, alliant à la fois visibilité et espoir. Le choix de cette couleur n'est pas anodin : il incarne le lien entre les personnes, rappelant que personne ne devrait affronter seul ses pensées suicidaires[3]. À la fois discret et visible, il transforme un simple geste individuel en acte collectif de solidarité et de prévention. Porter un ruban jaune en cette journée, c'est dire « Je choisis l'espoir. Je reconnais la douleur des autres et je soutiens la vie. »
Phénoménologie de la souffrance suicidaire
Comprendre le suicide à travers la phénoménologie, ce n'est pas simplement identifier des causes biologiques, sociales ou économiques, ni réduire la souffrance à un symptôme clinique. C'est plonger dans l'expérience vécue de la personne, tenter de percevoir sa vie depuis son propre horizon, comprendre sa douleur, ses choix, et sa confrontation intime à l'existence, sans jugement ni morale[4,5].
La personne suicidaire ne vit pas seulement une tristesse: elle affronte un monde vidé de sens, un avenir figé dans la douleur. Honte, culpabilité et pression sociale amplifient cette détresse. L'isolement est radical: incomprise, étrangère à son environnement, elle éprouve un temps lourd et monotone, un corps parfois étranger, un espace étouffant. Entre désir de mourir et volonté fragile de vivre, le suicide devient moins un simple acte qu'un cri silencieux face à l'absurdité de l'existence.
En s'immolant à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi transforme une détresse personnelle en acte symbolique et en cri collectif contre l'humiliation, la corruption et le déni de dignité. Son geste devient l'emblème d'une révolte. Depuis la Révolution, l'auto-immolation se déplace dans l'espace public, portée par la précarité économique et les tensions sociales persistantes[12]. Si certains suicides sont impulsifs ou vindicatifs, la plupart s'inscrivent dans un trouble mental. La dépression en est la cause principale, suivie des addictions à l'alcool et aux substances qui désinhibent et amplifient la souffrance ; Rappelons que l'addiction constitue en Tunisie un véritable enjeu de santé publique, particulièrement depuis la révolution. Le trouble bipolaire, avec ses oscillations extrêmes, expose particulièrement au risque suicidaire, surtout lors des épisodes dépressifs. La schizophrénie est également associée à un risque suicidaire élevé, notamment au début de la maladie ou lors de périodes de détresse intense. Les troubles de la personnalité, en particulier le trouble borderline, présentent eux aussi un potentiel suicidaire élevé.
La psychologue Marsha M. Linehan, qui a révélé avoir elle-même souffert d'un trouble de la personnalité borderline et qui a développé une thérapie spécifique pour ce trouble, décrit la souffrance de ces personnes ainsi:
« Les personnes atteintes du trouble de la personnalité borderline sont comme des individus brûlés sur presque tout le corps. Sans "peau émotionnelle", elles ressentent une douleur intense au moindre contact. »
En Tunisie, le suicide demeure une problématique de santé publique, souvent sous-estimée en raison du silence culturel entourant la souffrance psychique. Une enquête faite en 2005 estimait le risque suicidaire à 13,9 %, plus élevé chez les femmes, les chômeurs et les personnes à faible revenu [6]. Entre 2011 et 2014, la prévalence a augmenté, passant de 1,8 à 3,12 décès pour 100 000 habitants, avec des pics de tentatives juvéniles en 2014 (17,7 %) et 2016 (12,1 %)[7]. En 2020, le taux était de 1,89 pour 100 000, légèrement réduit en 2021 (1,84/100 000)[8]. Les hommes sont plus touchés par les suicides fatals, tandis que les femmes présentent davantage de tentatives. Les jeunes défavorisés restent particulièrement vulnérables, reflet de l'interaction entre facteurs psychologiques et sociaux. Ces chiffres invitent à dépasser la statistique pour initier une réflexion socio phénoménologique, permettant de décrypter la mémoire socioculturelle, de favoriser une résilience collective et de replacer le suicide dans un contexte marqué par les inégalités régionales et la tension entre idéaux postrévolutionnaires et précarité de la réalité.
Le ruban jaune face au mutisme musical: le tabou du suicide en Tunisie
Dans la culture tunisienne, certains genres musicaux -du Mezoued et du Rai des années 2000 au rap postrévolutionnaire – verbalise la souffrance, parfois dans sa forme la plus intense. Pourtant, les idées suicidaires restent curieusement absentes. Des artistes abordent la douleur, la révolte, la marginalité, la précarité et la souffrance psychosociale, mais jamais la question du suicide[9,10].
Lorsqu'une culture choisit le mutisme face au suicide, elle entrave l'expression de la souffrance, la laissant à l'état infraverbal voire même dans ''le refoulé des non-dits culturels''. La crainte inconsciente de parler du suicide lui confère une légitimité illusoire, non fondée ni d'un point de vue psychothérapeutique ni par les statistiques. Ce stigmate peut paradoxalement accroître les risques suicidaires en isolant les personnes en détresse. Questionner la culture face au suicide revient ainsi à explorer les silences qui étouffent la douleur morale.
Dans une perspective systémique, le suicide affecte tout le système familial et communautaire. En Tunisie, ce traumatisme se vit souvent dans le silence, mécanisme de défense contre la honte sociale et le tabou religieux, mais qui bloque le deuil et enferme les proches dans une douleur indicible. Combien de parents n'ont jamais pu surmonter la perte d'un enfant ou d'un proche, portant seuls cette souffrance inavouable?
En Europe, le débat sociétal sur le suicide a été relancé grâce à la chanson de l'artiste belge Stromae, issue de son album Multitude. Diffusée sur le journal télévisé de TF1 il y a trois ans, cette prestation a marqué l'histoire de la musique et touché plusieurs générations[11]. Sa prestation a été saluée par de nombreux médecins et psychologues à travers le monde. Extrait de la chanson L'Enfer : « J'ai parfois eu des pensées suicidaires et j'en suis peu fier, On croit parfois que c'est la seule manière ; de les faire taire, ces pensées qui me font vivre un enfer… Je ne suis pas tout seul à être tout seul. »
Porter aussi l'espoir: hommage à ceux et celles qui souffrent en silence
Les personnes suicidaires ne veulent pas révéler les raisons qui les poussent à mettre fin à leurs vies, car elles savent à quel point leurs souffrances peuvent affecter les autres. Elles ont plutôt besoin d'amour, de soutien, d'accompagnement et de prise en charge mentale. Il n'est pas utile de les culpabiliser, de les ignorer ou de les rejeter. Elles ont besoin de sentir que leurs vies valent la peine d'être vécues et que, malgré leurs souffrances, il existe une fin, une raison d'avancer, un espoir auquel elles peuvent s'accrocher. Médecins, psychologues, professionnels de la santé mentale, amis, familles, et toutes les personnes concernées par le suicide : parlons suicide et soyons aussi cet espoir…
Samir Samâali
Médecin psychiatre tunisien
Ecriture comme acte de témoignage et de mémoire …
Article dédié à la mémoire d'une personne chère, emportée par le suicide, en hommage à sa vie, son sourire et à son combat silencieux…
Références
1. World Health Organization. World Suicide Prevention Day 2024: Changing the narrative on suicide [Internet]. Geneva: WHO; 2024 [cité 2025 sept 5]. Disponible: https://www.who.int/news-room/events/detail/2024/09/10/default-calendar/world-suicide-prevention-day-2024
2. International Association for Suicide Prevention. World Suicide Prevention Day 2024 [Internet]. Deakin University, Australia: IASP; 2024 [cité 2025 sept 5]. Disponible: https://www.iasp.info/wspd/
3. International Association for Suicide Prevention. The yellow ribbon – an international symbol of suicide prevention [Internet]. Deakin University, Australia: IASP; 2024 [cité 2025 sept 5]. Disponible: https://www.iasp.info/resources/detail/yellow-ribbon
4. Bordeleau D. Exploration phénoménologique de l'idée suicidaire. Santé mentale au Québec. 1994;19(2):105–116.
5. French M. Death awaits me: An existential phenomenology of suicide. Eidos: A Journal for Philosophy of Culture. 2020;4(2):70–89.
6. Damak R, Atteb S, Kammoun R, Cherif W, Ellouze F, Cheou M. Evolution du risque suicidaire en Tunisie, cinq ans après la révolution de Jasmin. Tunis Med. 2020;98(5):123-130.
7. Latiri I, Kallel L, Jemaa R, et al. Tentatives de suicide chez les adolescents tunisiens: étude multicentrique. La Tunisie Médicale. 2017;95(12):825-830.
8. Banque mondiale. Suicides (taux pour 100 000 habitants) – Tunisie. [Internet]. 2023 [cité 2025 Sep 5]. Disponible sur: https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SH.STA.SUIC.P5
9. Bouzouita K. Music of dissent and revolution. Middle East Crit. 2013;22(3):281–92. doi:10.1080/19436149.2013.818193.
10. Gabsi Z. Rap and mizoued music: claiming a space for dissent and protest in post-Arab Spring Tunisia. Sociol Res Online. 2020;25(4):626–43. doi:10.1177/1360780419898494.
11. Stromae. L'enfer (Live Performance) [vidéo sur Internet]. 2025 [cité 5 sep 2025]. Disponible sur : Stromae – L'enfer (Live Performance).
12. Ben Khelil M, Zgarni A, Ben Mohamed M, Allouche M, Benzarti A, Banasr A, Hamdoun M. A comparison of suicidal behavior by burns five years before and five years after the 2011 Tunisian Revolution. Burns. 2017 Jun;43(4):858-65. doi: 10.1016/j.burns.2016.10.014.


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