Il est inhabituel, dans la société tunisienne, de se lever matin sur des infos de suicide. Cependant c'est devenu récurrent dans la Tunisie post révolution ! L'environnement social, outre que le dysfonctionnement mental ou psychologique, est, sans soupçon aucun, un facteur déterminant de l'élévation du taux du suicide. Il se peut que le phénomène existait dans la société tunisienne depuis toujours, mais il était tabou, contrairement à aujourd'hui. Plusieurs tentatives de suicide et de suicide abouti ont eu lieu ces dernières années. Récemment, le 2 septembre, un sergent s'est donné la mort avec son propre revolver. Une fin tragique dont les raisons demeurent méconnues. Il parait que cet acte est paradoxalement, un signe pour tourner le regard des autres vers la personne suicidée ; une manière insolite de crier : je me suicide donc je suis ! Pour s'éclairer à propos de ce phénomène social relativement répandu, nous avons eu recours à Dr Dakhlaoui Belcadhi Olfa, psychiatre-psychothérapeute-sexologue, qui a rencontré des cas parmi ses patients. Interview : -A quel moment une personne a-t-elle recours au suicide ? Une tentative de suicide peut survenir dans un contexte de dépression majeure marquée par une tristesse profonde, une perte d'intérêt globale, une incapacité à ressentir du plaisir, un pessimisme foncier et un désespoir. La personne se trouve dans un état de souffrance morale tel que se donner la mort reste l'ultime et unique moyen d'échapper à ces souffrances. Une personne délirante, se trouvant sous l'emprise de voix lui ordonnant de se tuer peut également perpétrer un acte suicidaire. - Qui se suicide ? Quelle catégorie d'âge ? Il faut distinguer la « tentative de suicide ou TS », et le « suicide » accompli ou réussi car ils ne présentent pas les mêmes facteurs de risque. La femme est plus souvent concernée par la tentative de suicide alors que le suicide est plus fréquent chez l'homme. Le suicide est plus fréquent dans la population de moins de 25 ans et la population âgée. - Un suicidaire consulte- t-il un psychiatre ? Les patients ayant commis une tentative de suicide (TS) peuvent consulter le psychiatre, amenés par leur famille, plus rarement de leur propre gré. Ils nous sont souvent adressés par des confrères non psychiatres qui ont assuré la prise en charge initiale (service de réanimation le plus souvent) pour une évaluation voire une prise en charge psychiatrique. - Quels sont les moyens du suicide et quel est le moyen privilégié ? Les moyens utilisés sont également différents : on retrouve plus fréquemment la prise médicamenteuse et la phlébotomie (ouverture des veines au niveau des poignets) dans les TS, et plus de pendaison, immolation, noyade, armes à feu dans le suicide. - Quels sont les facteurs de risque du suicide ? Les facteurs de risque du suicide sont très nombreux ; mais celui qui a le plus de poids est l'existence d'une pathologie mentale caractérisée notamment un trouble dépressif. Certains troubles de la personnalité, la toxicomanie, l'alcoolisme représentent également des facteurs de risque de suicide. Certaines pathologies somatiques telles que les maladies cancéreuses ou les douleurs chroniques sont également à prendre en considération. Le sexe masculin, avoir un âge de moins de 20 ans ou plus de 40 ans, être isolé socialement ou affectivement, l'absence de support familial, être au chômage, vivre dans des milieux défavorisés sont autant de facteurs de risque de suicide. Certains évènements de vie notamment une séparation, un deuil, une perte d'emploi, une confrontation avec la justice peuvent précipiter un passage à l'acte suicidaire. La tentative de suicide est également un facteur de risque suicidaire - Peut-on prévenir le suicide ? La prévention du suicide est possible. Elle passera tout d'abord par le dépistage des troubles mentaux notamment les troubles de l'humeur (dépression, trouble bipolaire) par les médecins de 1 ères lignes et leur prise en charge. Le rôle du psychiatre est tout d'abord préventif par l'évaluation des facteurs de risque, leur prise en compte et la prise en charge des troubles sous-jacents. Devant une tentative de suicide, notre rôle consiste à comprendre les circonstances qui ont mené à ce passage à l'acte suicidaire, le sens et la dynamique de cet acte, ainsi que le contexte psychopathologique. Nous sommes amenés à évaluer le risque de la récidive suicidaire et de tout mettre en œuvre afin de la prévenir. En effet, une tentative de suicide peut être un équivalent d'un appel au secours, d'un cri d'alarme dans une dynamique familiale où manquent la communication, l'intérêt, la compréhension et l'écoute ; où la personne se sent isolée affectivement, non reconnue et non écoutée dans sa souffrance. A côté du rôle préventif, le psychiatre a un rôle d'accompagnement et de soutien des personnes ayant commis une tentative de suicide.