Les tentatives de suicide chez les jeunes soulèvent beaucoup de questions. Les adolescents vivent une période de transition mêlée de chagrins et de défis. Ils ont besoin de découvrir leur identité et de jouir de l'autonomie pour accéder à la vie adulte. Ils vivent certes des problèmes et des difficultés personnelles : la crise d'adolescence, la dépression, l'impulsivité, l'incapacité d'exprimer des sentiments négatifs. Quelles sont les causes qui poussent les jeunes à se suicider ? A-t-on les moyens et les outils pour prévenir ces actes ?
Le professeur Mazet dans « Mourir à 10 ans » amorce une réflexion sur la conduite suicidaire. Selon lui, « celle-ci implique la manipulation par l'adolescent de ce qu'il appelle l'idée de mort, par opposition au désir de mourir. Même si le désir de mourir est souvent présent, nombre de conduites suicidaires sont probablement dues davantage à la fuite en avant face à une situation intolérable». Mazet trouve le suicide d'enfant ou d'adolescent scandaleux, inacceptable et d'un certain côté fascinant. Il entend « scandaleux » par le trait définitif que cet être encore jeune a tiré sur sa vie, inacceptable par la terrible accusation qu'elle renvoie à l'entourage et aux adultes en général. Une triste réalité, en 50 ans, le suicide des jeunes a triplé. En Tunisie et selon l'enquête de 2004 5 à 6% des adolescents ont tenté de se suicider. Ces actes demeurent une énigme traumatisante pour les parents. On ne pense pas au suicide sur un coup de tête. Mais il y a toujours des raisons psychologiques ou familiales qui poussent les jeunes au désespoir et à la détresse. Que peut faire un parent lorsque son enfant réalise que la vie est tellement pénible qu'elle ne vaut plus la peine d'être vécue ? Les tentatives de suicide pourront certes aider la famille à découvrir les signes d'un enfant en crise. Les filles courent le plus de risques de passer à l'acte que les garçons. Le jeune suicidaire se considère souvent comme mauvais, passif, coupable et a une faible estime de soi. Il se sent méprisé et n'a généralement pas de but dans la vie, ne voit pas d'avenir et a l'impression de ne jamais être à sa place. Prévenir les tentatives de suicide chez l'adolescent, c'est l'écouter pour comprendre les motifs qui l'ont poussé à l'acte. L'intervention est souhaitée jusqu'au dernier moment pour interrompre le processus à tout instant. Kamel Bouaouina
*** L'avis d'un psychiatre Yousri El Kissi
« L'acte suicidaire est loin d'être un choix »
Le Temps : Quels sont les facteurs de risques ?
Yousri El Kissi : Ce sont des facteurs individuels tels que les âges extrêmes (adolescents et sujets âgés), le sexe masculin, les antécédents de tentatives et surtout l'existence d'une pathologie mentale et notamment la dépression. Il y a aussi des facteurs de risque familiaux tels que les histoires d'abus et de négligences, les séparations précoces et les problèmes mentaux chez les parents. Le troisième type de facteurs est constitué par des facteurs psychosociaux comme la survenue d'une séparation, un isolement affectif ou des difficultés professionnelles et financières.
Comment se fait le passage à l'acte suicidaire ?
Il n y a pas de gens qui ont envie de mourir mais il y a des gens qui sont en état de souffrance et qui commencent à envisager des solutions, l'une après l'autre, dans un état émotionnel négatif avec de la tristesse et parfois de la colère ou de la peur. Cette situation difficile fait souvent suite à plusieurs facteurs de stress déclenchants. Ils vont passer d'un état d'équilibre vers un état de vulnérabilité. Les émotions négatives vont augmenter et entraîner une évolution encore plus négative de la situation vécue. Ceci va déclencher un cercle vicieux qui va déstabiliser la personne et qui va aboutir à une crise suicidaire qui est une période circonscrite dans le temps et qui peut culminer par l'acte suicidaire suite à l'épuisement des solutions envisagées. Il faut savoir que l'ambivalence persiste jusqu'au dernier moment car il y a toujours cet attachement à la vie avec une lutte contre les idées et les intentions suicidaires. L'acte suicidaire est loin d'être un choix, c'est un non choix suite à une fragilisation de la personnalité dans un contexte de facteurs psychosociaux stressants.
Peut-on éviter ces actes suicidaires ?
Absolument. C'est là où réside tout l'intérêt des mesures de prévention et surtout d'intervention auprès des personnes en crise suicidaire. Cette intervention consiste à reconnaître les sujets qui sont en crise suicidaire puis de désamorcer cette crise en évitant l'engagement dans un cercle vicieux entraînant une cascade négative qui va aboutir à son moment le plus culminant à l'acte suicidaire. Il s'agit là d'un travail de clinicien qui va s'opérer entre médecins scolaires, médecins de première ligne et professionnels de la santé mentale. Après la gestion de la crise suicidaire, il faut aussi intervenir au niveau de la vulnérabilité, ce qui passe par le dépistage et le traitement des troubles mentaux et notamment de la dépression et aussi par la promotion de la santé mentale et la lutte contre l'utilisation des substances toxiques qui augmentent le risque suicidaire. L'action préventive, dite ici primaire, peut également s'adresser aux autres facteurs de risque tels que les structures familiales pour viser ce qui pourrait être évité en termes d'histoires de séparation et des différents abus que peut subir l'enfant. La prévention devrait se faire à grande échelle en réseau entre plusieurs intervenants en impliquant tous les partis (enseignant, médecin scolaire, psychologue, assistant social..). Tous ces intervenants devraient être connectés les uns avec les autres dans le cadre d'un travail collaboratif en réseau qui va aboutir ou non à une prise en charge plus avancée en psychiatrie.
L'acte suicidaire peut-il se répéter ? Les tentatives de suicide chez les jeunes soulèvent beaucoup de questions. Les adolescents vivent une période de transition mêlée de chagrins et de défis. Ils ont besoin de découvrir leur identité et d'acquérir de l'autonomie pour accéder à la vie adulte. Ils vivent certes des problèmes et de difficultés personnelles : la crise d'adolescence, la dépression, l'impulsivité, l'incapacité d'exprimer des sentiments négatifs. Quelles sont les causes qui poussent les jeunes à se suicider ? A-t-on les moyens et les outils pour prévenir ces actes ?